Redécouvrir le monde – voyage et géopoétique
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Le mot « géopoétique » surgit de plus en plus, dans des contextes divers : ici dans un article de journal, là dans le titre d’un livre, ailleurs dans de colloques sur l’art, l’architecture, la philosophie, la littérature… Il est en passe de jouer le rôle qu’ont joué en leur temps des mots tels que « surréalisme » ou « existentialisme » : un mot clé qui ouvre un nouvel espace dans la pensée, la culture, la société. Pour savoir ce qu’il veut dire dans toute sa profondeur et son étendue, il faut se reporter à l’introduction à la géopoétique du Plateau de l’albatros, où Kenneth White aborde, après une lecture historique de la culture occidentale, ce nouvel espace à partir des récents développements des sciences, de la philosophie et de certains travaux poétiques, en présentant l’exemple de grands précurseurs tels qu’Alexander von Humboldt ou Henry David Thoreau.
C’est lors d’un voyage à la fin des années 1970 le long de la côte nord du Saint-Laurent et jusqu’au Labrador, relaté dans La Route bleue, que la notion de « géopoétique » a surgi dans l’esprit de Kenneth White, pour désigner à la fois un espace qu’il voyait se dessiner dans son propre travail et un nouvel espace général.
Qu’un tel « nouvel espace » soit non seulement désirable mais nécessaire est ressenti par beaucoup de personnes, de manière plus ou moins confuse. Sur le plan sociopolitique, le monde est divisé entre, d’un côté, un mondialisme à modèle unique dont la seule motivation est celle du profit, et, de l’autre, une masse hétérogène de particularismes marqués par une idéologie identitaire plus ou moins bornée, parfois par une violence pure et dure. La géopoétique se situe tout à fait en dehors de ces deux camps. White parle (sans rêve, sans illusion, sans espoir, mais dans l’esprit de ce qu’il appelle un « pessimisme actif ») au nom d’un monde ouvert.
Partout aujourd’hui, du nord au sud, de l’est à l’ouest, on assiste à une dégradation, pire, à une trivialisation de la culture. Dans le passé (ce n’est pas de la nostalgie mais un constat), la culture a été fondée sur le mythe, la religion ou la métaphysique. Aujourd’hui, elle n’est fondée sur rien, elle prolifère, c’est tout.
Pour qu’une culture au sens fort du mot existe, il faut qu’il y ait consensus quant à l’essentiel. White s’est demandé s’il existait une chose sur la nécessité de laquelle, au-delà de tous les restes, souvent conflictuels, du mythe, de la religion et de la métaphysique, on pouvait tomber d’accord, dans le monde entier, et il est arrivé à l’idée que cela ne pouvait être que la Terre sur laquelle nous essayons, péniblement parfois, de vivre. D’où le « géo » dans le mot géopoétique. Dans le vocabulaire de la géopoétique élaboré par White, un monde émerge du contact entre l’esprit humain et la Terre. Quand le contact est intelligent, sensible, subtil, on a un monde au sens plein du mot : un espace naturel, social et culturel agréable à vivre. Quand le contact est insensible et brutal, ce n’est plus un monde avec une culture vivante que l’on a, seulement une progressive accumulation d’immonde.
Quant à la seconde partie de ce nouveau concept, le mot « poétique » n’a dans l’esprit de White que peu à voir avec ce que l’on nomme communément « poésie », que celle-ci soit comprise comme expression d’états d’âme ou comme algèbre verbale absconse, en passant par les bouts rimés et la chansonnette. Il pense plutôt au nous poetikos d’Aristote, cette « intelligence poétique » étant la force fondamentale de l’esprit.
Après avoir lancé le concept, et tout en continuant de le développer au moyen de livres et de conférences dans le monde entier, Kenneth White a fondé l’Institut international de géopoétique, qui a actuellement des centres affiliés dans une dizaine de pays.
En savoir davantage sur :
Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Le RĂ´deur des confins
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