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Un tour de France des producteurs pour une agriculture durable
par Frédéric Gana & Tifenn Hervouët
le jeudi 22 février 2007 à 20 heures 30


Écosser des gousses de petits pois avec son pouce tout vert de chlorophylle, croquer dans une pêche juteuse, découper une belle pièce de viande, glisser son nez au bord d’une carafe de vin pour en apprécier les arômes subtils et la lever ensuite dans un rayon de soleil pour en distinguer les reflets rubis, plonger son index dans un pot de crème fraîche et l’introduire furtivement dans sa bouche, poser ses incisives sur un carré de chocolat croquant et parfumé, humecter ses lèvres dans la mousse légère d’une bière fraîche, et rire de bonheur avec sa famille, ses amis, autour d’une belle table… Ces plaisirs innombrables et sans cesse renouvelés rehaussent notre vie quotidienne. C’est comme cela que tout a commencé, dans l’assiette. Dans ce lieu de convergence où, depuis la nuit des temps, les hommes se retrouvent, se réjouissent, échangent, partagent les plus beaux moments de leur existence. Convergence de plaisirs et de nécessité vitale. Convergence du travail et de l’attention de centaines de millions d’individus aux quatre coins de la planète. Et bientôt des questions émergent.… D’où viennent nos aliments ? De quel terroir ? Par qui ont-ils été produits, cultivés ou élevés ? Quels ont été les gestes et les savoir-faire traditionnels ? Par qui ont-ils été acheminés ? Dans quelles conditions ? Oui, dans quelles conditions vivent les êtres qui pourvoient chaque jour à notre vie : les animaux, les végétaux, les hommes ? L’alimentation nous relie les uns aux autres. Elle nous relie à la terre et à ses différents règnes. Elle nous rassemble par-delà les distinctions de culture, d’âge, de sexe, de religion, d’origine, de classe sociale… Tout a commencé par une passion pour la cuisine et le fourneau derrière lequel il fait bon s’affairer. Tout a commencé par ces questions et l’envie d’y répondre, par ce besoin de savoir à qui l’on doit l’alimentation. Car en France, pays d’agriculture et de gastronomie, il semble paradoxalement difficile de penser l’assiette de la fourchette à la fourche. A disparu la relation humaine avec les personnes qui nous procurent ces plaisirs quotidiens.


Oui, pour Frédéric Gana et Tifenn Hervouët, deux jeunes citadins franciliens, gourmands, passionnés de cuisine, tout a commencé comme cela. Et bientôt les voici sur les routes de France, dans les fermes, à rencontrer les paysans, les producteurs et les artisans. Pendant six mois, chemin faisant… Chemin faisant, c’est le nom de leur voyage à travers la France, de mars à septembre 2005, à la rencontre de quatre-vingts producteurs et artisans des métiers de bouche. Du maraîcher au céréalier, du boulanger au fromager, du chocolatier au vigneron, de la plaine à l’estive, de l’étable à l’atelier de transformation, leurs pas les ont conduits à l’origine des aliments. Ce voyage initiatique à la recherche de la relation que l’homme entretient avec sa terre leur a permis d’appréhender la réalité d’une agriculture naturelle, respectueuse de la biodiversité, des écosystèmes et du devenir humain.
Parti à bord d’un camion aménagé de l’Île-de-France, le couple s’est d’abord intéressé à un grand céréalier de Seine-et-Marne puis à Georges Toutain, de Fontaine-Lavaganne, dans l’Oise. Cet ancien expert de l’INRA leur a fait découvrir son exploitation fruitière qu’il mène en agro-écologie depuis des décennies. À l’origine, le terrain appartenait à un agriculteur intensif ; aussi le premier travail de Georges a-t-il été de ramener la vie dans ce sol maltraité devenu dur et stérile. Lombrics et trèfles, deux symboles de bonne santé, y sont maintenant légion. Aujourd’hui, son verger est entouré de haies aux essences diversifiées pour loger les oiseaux, prédateurs de certains ravageurs, et des moutons pâturent au milieu des arbres tout en enrichissant le sol de leurs excréments. Ainsi, en s’inspirant de la nature, l’agro-écologie propose des techniques qui respectent ou accélèrent les phénomènes naturels au profit de la production, et à moindre coût. Le couple a poursuivi cette découverte à Terre et humanisme, l’association fondée par Pierre Rabhi en Ardèche. À Neuville-près-Sées, dans l’Orne, une autre rencontre déterminante a été celle d’Hubert Coupart, éleveur laitier productiviste reconverti à des pratiques raisonnables avec le soutien du réseau agriculture durable. C’est la crise financière liée aux conséquences de la tempête de 1999 et à l’épidémie de la vache folle qui l’a amené à reconsidérer l’organisation de son exploitation. Hubert Coupart a aujourd’hui trouvé son équilibre dans une production moins intensive et de meilleure qualité, tout en maintenant son revenu. Déjà, il a converti une partie de ses cultures en herbages, divisé par deux ses achats de produits phytosanitaires et de compléments alimentaires. Malgré ses excellents résultats, ses anciens collègues n’y comprennent rien. « Impossible ! Concilier baisse de production et maintien du revenu est une utopie ! » C’est pourtant ce que prouve ce réseau d’agriculteurs qui mènent une réflexion sur leurs modes de production et proposent des alternatives au modèle intensif.
Dans les monts du Lyonnais, Frédéric Gana et Tifenn Hervouët ont rencontré un autre éleveur laitier, Marc Ollagnier, pionnier de l’agriculture biologique. Depuis 1974, il utilise les mêmes semences chaque année. Fait banal mais qui, en réalité, est exceptionnel aujourd’hui : la plupart des agriculteurs rachètent en effet chaque année leurs semences. C’est une réglementation stricte, basée sur les critères de l’industrie agroalimentaire, qui limite la capacité des paysans à pouvoir choisir leur semence, l’échanger, la multiplier et la commercialiser comme ils l’entendent. À Livernon, dans le Lot, Frédéric Gana et Tifenn Hervouët rencontrent Jacky Dupety qui met en œuvre une pratique agricole révolutionnaire, qui lui permet notamment de cultiver des légumes sur le causse du Quercy sans irrigation, sans traitement et sans travail du sol. C’est au hasard de recherches sur Internet qu’il a découvert cette technique étonnante pourtant expérimentée depuis vingt-cinq ans au Québec. Depuis, cette pratique essaime un peu partout sur la planète, avec la discrétion des révolutions qui font peur parce qu’elles remettent trop de choses en question. Les résultats sont étonnants, et c’est d’ailleurs Jacky le premier surpris : « Parfois, je prends peur et me dis que je vais arroser car il fait trop sec, et que ça ne tiendra pas. Et puis, finalement, je laisse faire. Jusqu’à présent, j’ai toujours eu raison, parce que ça marche ! »
Le couple n’a pas rencontré que des personnes qui développent des pratiques codifiées. Il a parfois croisé des personnalités aux parcours originaux et intuitifs. C’est le cas d’Anne-Marie Lavaysse, paysanne vigneronne à Saint-Jean-en-Minervois, dans l’Hérault. Elle pratique une biodynamie revisitée car elle fait comme il lui semble juste. Voici comment cette ancienne maraîchère explique sa façon de soigner la vigne dans laquelle elle s’est reconvertie depuis dix ans : « Lorsque je sens qu’elle a besoin d’un coup de pouce, je cueille des plantes sauvages avec lesquelles je fais des préparations infusées au soleil. » Pulvérisées selon les rythmes de la méthode biodynamique, elles feront office de soins. En biodynamie, on n’utilise aucun produit chimique ou de synthèse : engrais, désherbants, pesticides. Anne-Marie a beau être vigneronne, elle adore les vaches : elle en a gardé une, qui broute et bouse dans ses vignes l’hiver et concourt ainsi à leur bonne santé. On retrouve dans le vignoble d’Anne-Marie un des principes de la biodynamie qui stipule que la ferme est un organisme agricole où chaque être vivant a sa place, son rôle, et où la diversité biologique apporte la santé de l’ensemble. En outre, cette approche agricole porteuse de sens et d’avenir considère la plante et les animaux dans leur environnement global.
Frédéric Gana et Tifenn Harvouët développaient une passion pour la cuisine et la gastronomie. Mais à force de ne pas avoir de réponses satisfaisantes sur la présence d’OGM dans nos assiettes, sur leur possible dangerosité, sur notre capacité à choisir ou non d’en manger, sur la disparition des fermes au rythme d’une tous les quarts d’heure en France, sur la nocivité des pesticides, des conservateurs, des procédés industriels comme l’hydrogénation, sur l’irradiation des aliments, sur le pourquoi d’une si faible reconnaissance de l’agriculture biologique, sur le bien-fondé de mettre au point des semences stériles, sur la logique de déplacer des matières premières sur des milliers de kilomètres, sur les raisons de manger de tout quelle que soit la saison, ils ont fini par s’intéresser aux rouages du commerce international, aux biotechnologies, à la chimie, aux procédés de l’agro-industrie. Ils se demandent aussi quelle place occupe encore l’acte alimentaire dans notre existence et si un geste essentiel au maintien de la vie n’est pas à tort réduit à une activité jugée toujours trop coûteuse en argent et en temps.











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Paysans, Un tour de France de l’agriculture durable


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