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Sur la piste du loup en Europe
par Vincent Vignon
le jeudi 30 novembre 2006 à 20 heures 30


Le loup semble avoir toujours eu mauvaise presse en France. Dès 813, Charlemagne institue le corps des luparii qui, devenus lieutenants de louveterie sous François Ier, sont chargés de le combattre en ordonnant des battues auxquelles le petit peuple ne peut se soustraire. On connaît certes l’histoire de la bête du Gévaudan, mais sait-on que, en 1427 par exemple, les loups auraient fait quatorze victimes entre Montmartre et la porte Saint-Antoine, à Paris ? Sous le Directoire, du fait du reboisement et de la prolifération du grand gibier, ils recolonisent leur aire de répartition qui passera toutefois de 50 à 10 % du territoire métropolitain au cours du XIXe siècle. Il est vrai qu’avant l’invention du vaccin par Pasteur leur rôle dans la transmission de la rage est, tout autant que les méfaits de leur prédation, l’une des raisons de leur décimation : en 1884, par exemple, 1 035 loups sont tués. Éradiqué de l’Hexagone dans les années 1930, le loup qui figurera sur la liste des espèces nuisibles jusqu’en 1973 est réapparu en novembre 1992 dans le parc national du Mercantour, à proximité de la frontière italienne. En provenance des Abruzzes, il n’a cessé depuis lors de s’étendre à travers l’arc alpin jusqu’au Valais et au Tyrol autrichien, au point qu’on en dénombrerait 200 aujourd’hui dans notre pays.
Ce retour du loup, favorisé notamment par le développement des ongulés de montagne et par la déprise agricole, n’est pas propre à la France. Si les populations de loups ont été minimales en Europe au cours des années 1970, on en compterait aujourd’hui un peu moins de 10 000 individus en Europe, sans la partie européenne de l’ex-URSS. Depuis une trentaine d’années en effet, le loup bénéficie dans la CEE de la protection légale des signataires de la convention de Berne (1979) et de la directive Habitats (1992), de l’exode rural et de la réintroduction d’ongulés sauvages par les chasseurs. Et cet opportuniste, qui est un prédateur efficace des grands herbivores, se livre toujours, quelle que soit la densité des ongulés sauvages, comme dans les monts Cantabriques par exemple, à des tentatives de prédation sur les troupeaux.
Et le retour du loup d’alimenter de vives controverses : sur sa dangerosité à l’égard de l’homme, sur le fait qu’il tue plus qu’il ne consomme (multiple killing) voire tue pour le plaisir (surplus killing), sur les dommages qu’il inflige aux troupeaux (1 000 attaques et 4 000 ovins tués ou blessés les sept premières années de son retour), sur le risque de son extension à toute la France. Quels que soient les griefs ou les arguments des uns et des autres, il serait regrettable que Canis lupus qui, il y a quinze mille ans, a donné naissance à Canis canis, le chien, et a conquis tout l’hémisphère Nord en développant de si remarquables capacités d’adaptation et de hiérarchie au sein de la meute, ne subsiste pas là où, pour le meilleur et pour le pire, il a tant nourri l’imaginaire, de Romulus et Remus recueillis par une louve à Fenris, le loup géant des derniers temps du Ragnarök scandinave, du Petit Chaperon rouge à Mowgli, de Marie de France et Jean de La Fontaine à Alfred de Vigny et Verlaine. Prétendre avec Hobbes que « l’homme est un loup pour l’homme » n’est-il pas reconnaître notre parenté comportementale avec ce canidé ? Il ne faudrait pas que, prédateur comme lui, nous demeurions son véritable destructeur…


Dès l’adolescence, Vincent Vignon se passionne pour les cervidés des forêts de Picardie, dont il suit les populations d’année en année, notamment à travers leurs bois qu’il collecte et parvient même à réattribuer à tel ou tel spécimen entrevu ou pisté. C’est tout naturellement que, dans le cadre de cette passion exclusive, il en est venu à s’intéresser aux prédateurs des cervidés, tel le loup dont, depuis 1987, à travers vingt-deux voyages, il a suivi le retour dans la cordillère Cantabrique, en Espagne. Il a ainsi présenté en 1995 à l’École pratique des hautes études un mémoire sur leur prédation à l’égard des ongulés sauvages et domestiques. Dans le cadre de ses recherches, il a aussi voyagé à de nombreuses reprises en Suède, en Roumanie, en Pologne et dans les Balkans pour s’intéresser à d’autres grands prédateurs européens, comme l’ours brun ou le lynx.



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Livre de l’intervenant en rapport avec cette conférence :
Le Loup (Belin, coll. « Éveil Nature », 2006)

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