Océans et climat : quel devenir ?
par Éric Guilyardi
L’océan et ses mystères fascinent depuis les temps les plus lointains. Tour à tour source de vie ou danger mortel, pacifique ou déchaînant les tempêtes les plus violentes, lieu d’échanges et de prospérité ou barrière infranchissable, l’océan est à la mesure de nos rêves, de nos peurs et de nos espoirs. Le défi scientifique de décrire et de comprendre cette masse d’eau mouvante, qui représente 70 % de la surface de notre planète, a débuté à l’époque des explorations de Cook et de Lapérouse, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est toutefois à la navigation circumterrestre de Challenger, de 1873 à 1876, que l’on fait remonter les débuts de l’océanographie : la morphologie des fonds océaniques et les propriétés physico-chimiques de l’eau de mer sont enfin étudiées. Cette science s’enrichit au tournant du XXe siècle des résultats des campagnes du prince monégasque Albert-Ier, du Belge Gerlache et du commandant Charcot, de la péninsule Antarctique à la mer du Groenland.
Des progrès immenses ont été accomplis depuis l’époque des Princesse-Alice, de Belgica et du Pourquoi-Pas ?. Si c’est au Norvégien Sverdrup que revient le mérite d’avoir décrit, dans les années 1930, les grandes lignes de la circulation générale des flux océaniques, donnant de fait son nom à l’unité de mesure qui correspond à un débit d’un million de m3 d’eau par seconde, il faudra attendre les années 1950 et l’arrivée des premiers supercalculateurs pour que les scientifiques montrent que l’océan est un acteur majeur du climat, auquel il donne naissance en interagissant sans fin avec la cryosphère et les surfaces continentales. C’est ainsi que, munis de scénarios d’évolution du dioxyde de carbone « anthropique », les climatologues prévoient un réchauffement global de 2 à 5 °C pour les cent ans à venir.
L’océan, dont les constantes de temps atteignent mille ans, est la mémoire lente du système climatique : son couplage avec l’atmosphère est à l’origine des principaux modes de variabilité du climat, comme le phénomène El Niño dans l’océan Pacifique tropical. Si les échanges océan-atmosphère sont mieux connus et modélisés, ils se compliquent dans les régions polaires par le caractère éminemment complexe de la banquise, de son épaisseur, de son action sur la salinité et sur la réfraction (effet albédo). C’est pourquoi l’Europe développe le projet Damoclès qui, à travers les hivernages successifs de Vagabond au Spitzberg ou de la dérive polaire de Tara (l’ancien Antarctica) devrait permettre de mieux prévoir la réduction de la calotte polaire. En 2006, cette dernière n’était plus que de 5 millions de km2 alors qu’elle en couvrait 8 au début des années 1980, et un navire, autre que le brise-glace nucléaire Yamal, n’aurait par ailleurs guère eu de peine à rallier durant l’été le pôle Nord depuis le Spitzberg.
L’océan absorbe aujourd’hui environ la moitié des émissions de carbone de nos voitures, chauffages et usines. Ce poumon salutaire, sans lequel l’air serait déjà irrespirable, peut-il s’étouffer ? Cette ingestion forcée de dioxyde de carbone entraîne déjà une acidification accélérée des eaux, qui menace l’équilibre des écosystèmes marins. Quelle sera la capacité d’adaptation des océans ? Les paléoclimatologues nous indiquent que la Terre n’a jamais connu d’évolution aussi rapide depuis un million d’années. Le climat possède-t-il des « seuils » au-delà desquels des transitions climatiques irréversibles sont possibles ? La salinité de l’océan joue-t-elle un rôle clé, même s’il reste encore peu connu ? Autant de questions auxquelles la communauté scientifique, désormais coordonnée au niveau international face à l’ampleur de la tâche, s’efforce d’apporter des réponses, afin que nous tous, citoyens, puissions faire des choix éclairés et responsables pour l’avenir.
Éric Guilyardi a réussi à faire de sa passion pour le monde marin son métier. Une enfance face à l’estuaire de la Rance et à Saint-Malo a contribué à lui donner le goût du large qu’adulte il a prolongé par plusieurs périples en voilier. En 1992, il quitte San Francisco pour Hawaii et l’île isolée de Palmyra où il robinsonne durant plusieurs mois. En 1997, il effectue un tour de l’Atlantique à bord de son propre voilier. Devenu océanographe et climatologue, il a l’occasion de prendre part à des campagnes en mer dans l’Atlantique Sud, puis entre l’Afrique du Sud et l’Antarctique, via Crozet, et enfin en mers du Groenland et de Chine. Éric Guilyardi est chercheur au CNRS, membre de l’Institut Pierre-Simon-Laplace des sciences de l’environnement, qui fédère plusieurs laboratoires de recherche dont celui de Jussieu où il travaille. Il est en outre rattaché au laboratoire de recherche sur le climat de Reading, en Grande-Bretagne. Ses travaux portent sur le rôle de l’océan dans l’évolution du climat, et plus particulièrement sur le phénomène El Niño. Il est aussi l’auteur ou le coauteur de plus de quarante publications scientifiques ainsi que d’articles pour le grand public dans La Recherche et La Météorologie. Sa thèse de doctorat lui a valu le prix André Prud’homme 1999, décerné par la Société météorologique de France.
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