Du lac Baïkal à  Bangkok, les méandres de l’eau
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L’Asie fascine pour ses horizons sans fin, sa diversité culturelle, son histoire riche et ancienne, son empreinte spirituelle… Elle peut aussi fasciner pour l’eau, élément vital mais capricieux, fragile, insuffisant ou surabondant, inexploitable, source de conflits et de bonheurs… Bien qu’inégalement répartie, l’eau dispose les hommes selon ses visages, et ils sont multiples en Asie. À commencer par le lac Baïkal, qui contient 20 % des réserves d’eau douce et 70 % des réserves d’eau potable de la planète. La « perle de Sibérie » abrite un écosystème unique, à 56 % endémique, mais l’influence grandissante de l’homme légitime les craintes des environnementalistes. En hiver, le Baïkal se couvre d’une banquise épaisse où s’activent les pêcheurs d’omoul. Aux 1 640 mètres de profondeur du lac s’opposent les vastes étendues arides du Gobi, plus grand désert d’Asie, constitué de cuvettes caillouteuses ou sablonneuses, région extrême que balayent des vents implacables : hivers froids, étés chauds. Les Mongols y nomadisent au gré des puits et des pâturages, élevant des troupeaux de chèvres, de chevaux et de chameaux.
Contigue au Gobi, en Dzoungarie, s’étend la mer de sable du Taklamakan, littéralement « d’où on ne revient pas ». Son extrémité méridionale est bordée par la chaîne des Kunlun, montagnes arides qui flanquent aussi le plateau tibétain. Les Ouighours se sont adaptés à cet environnement hostile et ont prospéré dans les villes qui encerclent le Taklamakan ainsi que sur les contreforts des Kunlun. Ils ont développé une agriculture irriguée et un élevage semi-nomade.
Plus au sud encore se dresse la haute barrière himalayenne. Ses vallées que la neige isole plusieurs mois par an, ses pics qui culminent à plus de 8 000 mètres subissent un climat montagnard extrême. C’est le cas du Zanskar, massif qui occupe le centre du Cachemire indien et qui prolonge géographiquement et culturellement le Tibet. La neige y est primordiale pour l’agriculture, et les cours d’eau figés sont l’unique accès au Ladakh, d’où on achemine le courrier et les denrées alimentaires.
L’Asie n’est pas faite uniquement de montagnes et de plateaux mais aussi de fleuves gigantesques. Ainsi, lorsque la neige printanière encombre encore les cols du Zanskar, la chaleur qui précède la mousson assomme déjà le berceau des hindous et la plaine du Gange, qui naît à 4 500 mètres d’altitude dans l’Himalaya. Fleuve le plus vénéré au monde, il nourrit près de 50 % de la population indienne malgré la pollution croissante. Il finit sa course de 3 000 kilomètres en formant un vaste delta avec un autre géant fluvial, lui aussi né sur le « Toit du monde », le Brahmapoutre.
Plus à l’est, le Mékong naît sur le plateau tibétain avant de traverser sept pays et de servir de frontière naturelle à certains comme la Thaïlande ou la Birmanie. S’il reste indomptable, il sert de voie de communication à travers la jungle et son delta est le grenier à riz de la région.
À 30 ans, alors qu’elle revient d’Afrique équatoriale, où elle a surveillé la surélévation d’un barrage, Caroline Riegel, ingénieur en constructions hydrauliques, s’en va traverser l’Asie, du lac Baïkal en Sibérie jusqu’à Bangkok en Thaïlande. En vingt-deux mois, elle observe la particularité de sept grands ensembles géographiques et les relations à l’eau de leurs habitants, qui peuplent la taïga, nomadisent dans la steppe, cultivent des oasis, naviguent sur des fleuves immenses ou exploitent des torrents glaciaires. Pour compléter son approche, elle rencontre aussi des environnementalistes, des glaciologues et des ingénieurs. Caroline Riegel séjourne d’abord en compagnie de pêcheurs et de chasseurs sur les rives du Baïkal dont le nom signifie « lac riche » en iakoute. Elle assiste à la débâcle et au renouveau printanier. La vie reprend dans les villages et la taïga, sur les rives des 336 cours d’eau tributaires de ce lac et, via l’Angara et l’Iénisseï, de l’océan Glacial arctique.
Au sud du lac Baïkal, au-delà de la Bouriatie, s’étend le vaste plateau mongol. Son tiers sud est rongé par les steppes semi-arides du désert de Gobi. Caroline Riegel en arpente la zone centrale en été avec deux chevaux et un chameau. Puis la jeune voyageuse emprunte le train pour passer en Chine, au Xinjiang, et randonner, accompagnée d’un âne, le long de l’aride chaîne montagneuse des Kunlun, qui sépare le Tibet du Qinghai, au sud-ouest du pays. Elle y croise les bergers semi-nomades ouighours, qui campent l’été sur les pâturages à 4 000 mètres d’altitude, où les précipitations hivernales sont plus abondantes, pendant que leurs familles irriguent les oasis. La mauvaise saison approchant, la voyageuse migre vers le sud et s’enferme pour six mois au Zanskar. Elle y accompagne les convois de porteurs qui cheminent sur le fleuve gelé, et s’efforce d’apprendre la langue et les coutumes dans un village où elle enseigne l’anglais.
Au printemps, Caroline Riegel enfourche une bicyclette et descend le Gange, depuis le glacier qui lui donne naissance jusqu’à son delta, au Bangladesh. Elle est tour à tour fascinée par l’élément sacré et désolée par la pollution et le gâchis des moyens mis en œuvre pour tenter de dépolluer l’eau. La mousson inonde le Bengale tandis que la voyageuse atteint le delta du Gange, appréciant l’adaptation des Bengladais aux inondations.
Enfin, sur la Yamuna, Caroline Riegel rencontre les Charas, pêcheurs îliens rendus nomades par l’action du fleuve, qui érode régulièrement leurs îles avant de les « recracher » en aval. Elle séjourne sur leurs îlots mouvants avant de se laisser finalement glisser au fil du Mékong, plus long fleuve d’Asie du Sud-Est, des portes du Tibet jusqu’au Tonle Sap, et de rejoindre Bangkok, sur le Ménam.
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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Soifs d’Orient, Du BaĂŻkal au Bengale I
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