Un chemin de promesses : à  pied de Paris à  Jérusalem
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L’usage de se rendre en pèlerinage sur les lieux mêmes de la vie terrestre du Christ remonte à Méliton de Sardes qui se rendit en Palestine durant la seconde moitié du IIe siècle et dont le voyage avait pour but de rechercher un canon des Écritures saintes. À l’époque byzantine, le pèlerinage d’Égérie est un des plus anciens guides de pèlerinage en Terre sainte, et l’un des seuls écrit de la main d’une femme, qui nous soit parvenu de cette époque. Le pèlerin des premiers siècles du Moyen Âge qui souhaitait se rendre en Terre sainte devait obtenir le consentement de ses proches et la permission de son évêque : on s’enquérait de sa vie et de ses mœurs, on examinait si ce n’est pas un désir de découverte des contrées éloignées qui l’entraînait vers les Lieux saints… Cette enquête était plus rigoureuse lorsqu’il s’agissait d’un religieux ; on voulait éviter que le pèlerinage ne fût un prétexte pour rentrer dans la vie séculière. Quand toutes ces informations avaient été prises, le pèlerin recevait, de la main de l’évêque, le bourdon et la panetière. Il recevait aussi un laissez-passer adressé à tous les monastères, aux prêtres, aux fidèles, qui le leur recommandait. Ainsi équipé, ce dernier devait prendre la route sans tarder, sous peine d’être traité de parjure envers Dieu. Le jour du départ, ses parents, ses amis et d’autres âmes pieuses l’accompagnaient sur ses premiers kilomètres.
En chemin, le pèlerin était exempt de tout péage ; il trouvait l’hospitalité dans les châteaux, et c’était une sorte de félonie que de la lui refuser. Il devait être traité comme le chapelain et manger à sa table, à moins que, par humilité, il n’aimât mieux l’isolement et la retraite. Dans les villes, il s’adressait à l’évêque, qui l’accueillait, et dans les couvents, au prieur ou à l’abbé. On lit dans les Devoirs de chevaliers, l’obligation, pour tous les hommes qui portaient les armes, de défendre le pèlerin, assimilé aux enfants et aux veuves. S’il tombait malade, les hospices lui étaient ouverts, ainsi que l’infirmerie des monastères ; on prenait soin de lui comme d’un être privilégié.
Lorsque le pèlerin embarquait sur un bac ou un navire, le prix de son passage était extrêmement modique. Le statut de certaines villes, telles que Marseille, le dispensait de toute rétribution quand il s’embarquait sur les navires de la cité. Il en était de même à son retour. La population de sa ville natale l’accueillait en organisant une procession, et il déposait sur l’autel de la paroisse la palme de Jéricho.
Toutes les classes de la société fournissaient des pèlerins : princes, prélats, chevaliers, prêtres, nobles et vilains. L’espoir de se sanctifier par le pèlerinage était général. En 1054, Lutbert, 31e évêque de Cambrai, partit pour la Terre sainte, suivi de plus de 3 000 pèlerins des provinces de Picardie et de Flandre. Quelques années plus tard, 7 000 chrétiens emboîtèrent le pas depuis les bords du Rhin jusqu’en Palestine à l’archevêque de Mayence, aux évêques de Ratisbonne, de Bamberg et d’Utrecht.
Paris, 17 juin 2007. Édouard et Mathilde Cortès débutent leur voyage de noces. Ils ont en tête le rêve de rallier Jérusalem à pied, sans un sou en poche, dans un dépouillement qu’ils comparent à celui des pèlerins du Moyen Âge. Ils pensent que la marche mendiante ouvre le cœur ainsi que l’esprit et rend disponible. Cette démarche de légèreté les contraint à s’ouvrir aux autres, tels qu’ils sont, sans artifice matériel.
Ils se mettent en route depuis le parvis de Notre-Dame, à Paris, et cheminent en direction de Vézelay puis du Jura et des Alpes, dont la traversée s’annonce comme la première épreuve. Mathilde et Édouard Cortès s’engagent notamment sur le glacier du Theodulpass, au pied du Cervin, entre la Suisse et l’Italie, à 3 500 mètres d’altitude. Plus tard, ils font l’expérience de la peur en traversant une région minée de Croatie puis en s’enfonçant dans les forêts des Balkans, où la présence de loups leur fait presser le pas. Mais les jeunes marcheurs français, que ravit la splendeur des paysages de l’Europe centrale, sont aussi sensibles au climat de tension qui règne dans cette région. Chaque soir, ils écoutent leurs hôtes conter leur vie quotidienne, souvent modeste, leurs craintes et leur espérance.
Le franchissement du Bosphore et la découverte des steppes d’Asie Mineure, des cheminées de fées de Cappadoce puis, sous la neige, des monts Taurus redonnent à Mathilde et Édouard Cortès le goût de l’effort et l’envie de poursuivre jusqu’au but qu’ils se sont fixé. D’autant que leur couple se renforce : dans l’adversité, ils apprennent à mieux se connaître et à s’aimer malgré leurs faiblesses.
De mauvaises rencontres avec des trafiquants de drogue italiens, un agresseur turc ou les services de renseignement syriens ne parviennent pas à ternir le souvenir qu’ils gardent de la générosité des gens qui, tout au long du chemin, leur offrent de quoi se nourrir et parfois les hébergent. Du forestier jurassien au berger croate, de la fillette serbe du Kosovo au diamantaire turc, du derviche de Cappadoce au commerçant syrien, les rencontres leur font oublier la fatigue à travers les quatorze pays qu’ils traversent.
Quand ils voient enfin miroiter les eaux du Jourdain après avoir franchi des zones désertiques, ils savent que Jérusalem n’est plus très loin. Ils repensent avec nostalgie aux noms des étapes qui ont jalonné leur itinéraire depuis Paris : Vézelay, Vérone, Mostar, Istanbul, Alep, Damas…
Le 3 février 2008, au terme de huit mois de marche, les jeunes mariés entrent dans Jérusalem, heureux d’avoir vaincu tous les obstacles grâce à la confiance qui les soude et à l’amour du prochain.
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Livre des intervenantes en rapport avec cette conférence :
Un chemin de promesses, 6 000 km à pied et sans argent, de Paris à Jérusalem. Une aventure à la rencontre des autres et d’eux-mêmes (XO Éditions, 2008)
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