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Théodore Monod : le vieil homme et la fleur
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le jeudi 16 octobre 2008 à 20 heures 30


En mars 1988, Théodore Monod, alors âgé de 86 ans, lance sa caravane de cinq dromadaires à l’assaut des dunes du désert mauritanien. Son but : retrouver au sud-est de Chinguetti la météorite gigantesque de 100 mètres de long et 40 mètres de haut mentionnée en 1916 par le capitaine Gaston Ripert, qui en avait déposé un échantillon de plusieurs kilogrammes au Muséum national d’histoire naturelle. C’est Karel Prokop qui filme ce vieil homme dans sa folle quête géologique. Et les Français de découvrir enfin ce professeur quasi aveugle, qui arpente les sables à l’aide de sa canne, le marteau à la main, herborise entre deux haltes, se récite en grec les Béatitudes tous les midis et dort avec pour immense couverture les étoiles.
Cet homme qui mène la vie dure à ses guides et à ses montures – « Je n’aime pas attendre ; j’aime qu’on parte et qu’on arrive ! » – n’en est pas à sa première méharée. L’introuvable météorite de Chinguetti et une fleur qu’il a découverte dans le Dohone, en Libye, la Monodiella flexuosa, à laquelle il a donné son nom – comme à plus de cent plantes, animaux ou lieux –, lui fourniront encore l’occasion de fouler les sables du Sahara. Cet austère professeur, issu de cinq générations de pasteurs, maître en ichtyologie, mais aussi passionné de botanique et de géomorphologie, qui a fondé et longtemps dirigé l’Institut français d’Afrique noire de Dakar, au Sénégal, est un homme de conviction qui, d’une vision pessimiste de l’avenir de l’espèce humaine, a fait le moteur de son action : « L’utopie n’est pas l’irréalisable, c’est l’irréalisé », aime-t-il rappeler.
Qu’il pleuve ou qu’il vente, il jeûne chaque année quatre jours durant devant le PC des Forces océaniques stratégiques de Taverny, car les 6-9 août 1945 marquent pour lui la fin de l’ère chrétienne et le début de l’ère nucléaire, où les armes détruisent l’homme jusque dans son avenir génétique. Végétarien – « Pourquoi donc mangerais-je du cadavre ? » –, il prend à plusieurs reprises position contre la chasse et la corrida, « la boucherie des bois ou des arènes ». Au deuxième départ du Paris-Dakar à la porte d’Orléans, il essaie de barrer le passage aux véhicules, avec l’écologiste et africaniste René Dumont, son vieil ami. Et, chaque 14 Juillet, il écrit au président de la République pour le prier de changer les paroles de la Marseillaise, pour qu’un sang impur n’abreuve plus nos sillons. Ce savant qui, de spécialiste des crustacés, en est venu à s’intéresser à toutes les formes de la vie, ce fervent protestant qui, son existence durant, a œuvré au rapprochement des confessions et qui, comme les prophètes de l’Ancien Testament, a cru au pouvoir du geste, cet homme à l’énergie débordante était un scientifique animé d’une foi empreinte de mysticisme, la foi d’un nomade entre ciel et terre.
Le lien entre la nature et la création, au sujet duquel il avait pu échanger en correspondant avec Teilhard de Chardin, la place de l’homme dans l’univers et dans l’évolution – il prétendait parfois que les céphalopodes y voleraient aux primates leur suprématie –, occupèrent cet homme aux mœurs ascétiques – il se levait tôt, ne buvait jamais d’alcool et jeûnait tous les vendredis –, qui entretenait un rapport tactile avec la nature, laquelle resta un émerveillement perpétuel même lorsque ses yeux ne la virent plus guère. « Au fond, j’aurai été l’un des derniers voyageurs sahariens de la période chamelière. Une secrète mélancolie s’attache aux choses qui meurent, quand on les a beaucoup aimées. Bien sûr, il faut savoir refermer les parenthèses, accepter de se voir relayé, savoir, sur la pointe des pieds, discrètement, disparaître dans la coulisse. » (Les Déserts, Horizons de France, 1973). L’auguste savant s’est éteint le 22 novembre 2000, à l’âge de 98 ans.


Le film de Raynal Pelisser Le Vieil Homme et la Fleur permet de suivre Théodore Monod à travers le désert du Shibam, dans le sud du Yémen, à la recherche d’une variété rare de l’arbre à encens. À l’occasion de ce voyage qui remonte à 1995, le naturaliste avait cueilli la vingt millième plante de son herbier, celle dont il a toujours dit qu’elle serait sa dernière.




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