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En Haute-Asie sur la piste oubliée d’Ella Maillart et de Peter Fleming
par
le mercredi 12 mars 2008 à 20 heures 30


1935 : la Chine n’est plus que l’ombre de sa splendeur impériale passée. Le Japon l’a amputée de ses régions du nord-est en créant l’État fantoche du Mandchoukouo. Les nationalistes corrompus et démoralisés du Kuomintang pourchassent les communistes qui ont entamé leur « Longue Marche ». Les puissances occidentales maintiennent un semblant d’ordre dans les concessions de Shanghai. Partout ailleurs, les « Seigneurs de la guerre » pillent et rançonnent des populations terrorisées.
Une poignée d’intrépides journalistes occidentaux viennent y chercher l’aventure. Parmi eux, deux caractères bien trempés se retrouvent à Pékin après avoir fait connaissance à Londres. Ella Maillart (1903-1997) envoie ses articles au Petit Journal, Peter Fleming (1907-1971) est en mission pour le Times. L’un et l’autre ont rêvé du même projet, et conviennent qu’ils n’ont de chance de réussite qu’en l’entreprenant ensemble. Il s’agit tout bonnement de rejoindre l’Inde en traversant la Chine de part en part, à travers les régions instables des marches du Tibet et du Turkestan : la Tartarie. Peter Fleming souhaite apporter le premier témoignage occidental sur la situation locale, inconnue depuis plusieurs années. Ella Maillart veut revivre les sensations éprouvées quelques années auparavant au contact des populations nomades de l’Asie centrale. En sept mois, ils vont parcourir 5 600 kilomètres en camion, à pied, à dos de cheval, d’âne ou de chameau, en passant par les hauts lieux de la zone : le Koko-Nor au Qinghai, Cherchen, Khotan, Yarkand et Kachgar dans le Xinjiang, Gilgit dans le Karakoram.
Peter Fleming est un bon fusil et un homme d’esprit, qui sait un peu de chinois et très bien l’art de circonvenir les fonctionnaires provinciaux. Ella Maillart connaît la vie caravanière pour l’avoir vécue au Turkestan soviétique, parle le russe et peut apprêter sur un feu de broussailles n’importe quel gibier à plumes ou à poils. Tous deux sont de fortes têtes, accoutumés à se débrouiller seuls et qui renâclent parfois contre la dépendance réciproque dans laquelle leur association les a placés. Malgré l’intercession des consulats, il leur est impossible d’obtenir un sauf-conduit pour entrer dans la région du Xinjiang, où l’autorité de la Chine n’est plus que nominale. Qu’à cela ne tienne, ils partiront. En train, puis sur la plate-forme d’un camion jusqu’à Xian et Lanzhou. Ils adoptent ensuite le pas lent d’une caravane de chameaux et atteignent un campement mongol perdu où un exilé russe leur confirme l’impossibilité d’entrer au Xinjiang. À moins de traverser l’Altyn Tagh, une vaste zone montagneuse inconnue et inhabitée dont il a vaguement entendu parler. Nécessité faisant loi, nos deux voyageurs entrent dans le blanc de la carte. Au gré de difficultés extrêmes, ils parviennent à traverser ces hautes vallées venteuses et désolées, qui n’avaient été approchées que par quelques explorateurs de la fin du XIXe siècle. Atteignant ainsi les oasis du désert du Taklamakan, ils se rendent sous escorte à Kachgar, où ils sont accueillis en héros par le consul britannique qui les aide à effectuer la traversée du Karakoram pour rejoindre Srinagar, en Inde.
De retour en Europe, Peter Fleming publiera Courrier de Tartarie et Ella Maillart Oasis Interdites, deux textes qui sont restés d’incontournables récits de la littérature de voyage. Chacun y expose à sa manière très personnelle les innombrables péripéties de ce voyage exceptionnel, culminant dans cette traversée des hautes vallées des confins du Tibet et du Xinjiang. Sur la majeure partie de son trajet, la traversée épique de la Chine par Ella Maillart et Peter Fleming peut être aujourd’hui entreprise dans des conditions acceptables de confort et de sécurité. Mais une section résiste encore à la modernité, celle-là même qui faillit être fatale aux deux aventuriers de 1935. L’étude attentive des cartes montre qu’aucune route ou piste n’a été tracée depuis à travers les hautes vallées de la chaîne de l’Altyn Tagh, à la charnière des territoires des Mongols, des Tibétains et des Ouighours musulmans.


Pour l’amoureux des confins montagneux et humains de l’Asie centrale qu’est Bruno Paulet, la tentation était forte de tenter de forcer le passage. Mais l’affaire n’était pas simple car, outre les difficultés du terrain, les tracasseries politiques subies par Maillart et Fleming trouvent aujourd’hui un écho dans l’interdiction administrative d’approcher ces parages. Y monter une expédition nécessitait donc la plus grande discrétion, alors même qu’il fallait s’attirer le concours d’autochtones pour acquérir des bêtes de bât. Pour ce faire, Bruno Paulet s’est rendu par deux fois, lors de voyages de reconnaissance, aux points de départ et d’arrivée pour évaluer le risque d’être intercepté et ses chances de réussite. Il avait l’habitude des expéditions dans les régions reculées de la Chine mais, cette fois, l’ampleur était tout autre. Il fallait des bêtes, un bon mois de nourriture, de quoi constituer des provisions d’eau…
Alors que le départ approchait, son plan était clair. Il avait convaincu son ami tibétain Nima de l’accompagner, et acheté des chevaux avec l’intention de les acheminer sur place, où il espérait par ailleurs trouver des chameaux. Cependant les circonstances sont parfois rebelles, et tous ces préparatifs durent être abandonnés avant même d’avoir entamé la première étape.
Les multiples rebondissements de l’expédition elle-même montrent à quel point ils furent chanceux d’y parvenir. Mais quelle récompense ce fut ! Chacune des journées de cette longue marche de huit cents kilomètres apporta son lot de satisfactions. Des paysages à couper le souffle, mariant les dunes de sable les plus arides aux sommets enneigés ; une faune unique comprenant les plus majestueuses espèces sauvages du Tibet – ânes, antilopes, yacks ; et quelques rares nomades vivant au rythme d’un autre siècle.





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