De Compostelle aux routes de la soie : un art de la marche
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Bernard Ollivier n’est ni écrivain, ni voyageur lorsque, en 1998, à l’âge de 60 ans, la Sécurité sociale lui annonce qu’il est à la retraite. Que faire de ce temps illimité, de la « mise en retrait » que signifie son nouvel état ? Sa décision est vite prise, son premier mois de retraite n’est pas achevé qu’il sort de chez lui sac au dos et prend le chemin de Compostelle depuis Paris. Trois mois et 2 300 km plus tard, il est fixé : il marchera. Mais où ? Dans une région qu’il ne connaît absolument pas et sur la route la plus ancienne et la plus prestigieuse du monde : la route de la soie.
En huit mois, son projet est bouclé et, en mai 1999, il passe de l’lstanbul européenne à la rive asiatique en empruntant un bateau sur le Bosphore. Ce sera son unique moyen de locomotion mécanique. Pied posé en Asie, il a un projet simple : accomplir seul et à pied le trajet de 12 000 km qui le sépare de Xi’an, l’antique capitale de la Chine jusqu’à ce que, au IXe siècle, les empereurs mandchous la déplacent à Beijing, que nous appelons Pékin. Afin de ne pas s’éloigner de ceux qu’il aime pendant une longue période et d’éviter les hivernages ennuyeux, il marchera à la belle saison. Il a ainsi découpé son parcours en quatre tronçons de 3 000 km chacun : Téhéran/Samarcande/Turfan/Xi’an. Avant de partir, il a signé avec les éditions Phébus un contrat pour quatre livres (un par an), qui relateront par le menu ses aventures.
Le voyage est risqué. Dès la première année, Bernard Ollivier échappe à une attaque en règle des kangal, ces redoutables chiens turcs qui gardent les troupeaux contre les loups et les ours ; il est à deux reprises l’objet d’une tentative de vol brutal ; il est arrêté par la police politique comme « terroriste » et finalement terrassé par la maladie alors qu’il n’a pas encore atteint son premier objectif, la frontière iranienne. Et à peine aperçu le cône pointu et immaculé du mont Ararat, il s’effondre sur le bord de la route avant d’être rapatrié par ambulance jusqu’à Istanbul puis évacué sanitaire. Mais la bête est solide et, en mai 2000, il reprend la route à l’endroit même où il s’était évanoui l’année précédente et, cette fois, parvient à Samarcande. Les pays d’Asie le fascinent. L’accueil des populations, l’hospitalité qu’il trouve de village en village, les paysages, tout le porte ; aussi collectionne-t-il les kilomètres et les amitiés.
Les rencontres sont étonnantes. Bernard Ollivier arrive dans des villages isolés au soir, inconnu, et en repart le lendemain en quittant à regret les populations qui l’accueillent, le nourrissent et lui donnent leur amitié. Mais il lui faut aussi éviter les bêtes, les voleurs, les policiers avides de dollars et les fous tout court ou les fous de Dieu soucieux de le convertir sur-le-champ. La Turquie, l’Iran, le Turkménistan, l’Ouzbékistan. Le voici à mi-parcours dans la ville de Samarcande qui l’a tant fait rêver au long de sa jeunesse. En 2001, il en repart pour rallier Turfan, dans le Xinjiang chinois, après avoir traversé le Kirghizistan aux fiers cavaliers, puis le Pamir. Viendra ensuite le terrible désert de pierres du Gobi. Enfin, le 14 juillet 2002, il est accueilli par l’ambassadeur de France en Chine et la communauté française de Pékin. Trois jours auparavant, il était arrivé dans la ville mythique de Xi’an d’où partaient, voici vingt-deux siècles, les premières caravanes porteuses de somptueux rouleaux de soie. Mais il n’avait pas tout à fait rempli son contrat : il n’avait écrit que trois livres, le dernier contant ses aventures de Samarcande à Xi’an, soit deux saisons de marche.
À l’aventure de la randonnée vient s’ajouter l’aventure littéraire. Le premier livre de Bernard Ollivier, Longue marche, rencontre un succès inespéré auprès des lecteurs. Désormais, il est porté par l’enthousiasme de dizaines de milliers d’entre eux qui l’accompagnent au long du chemin. Simultanément, il crée en mai 2000 une association de réinsertion de jeunes délinquants par la marche à pied. Comment pourrait-il ne pas aller jusqu’au bout puisqu’il est désormais poussé par le bonheur de la rencontre, le succès littéraire ? Et qu’il possède une bonne raison supplémentaire de marcher puisque ses livres rapportent de l’argent qui lui permet de financer l’association Seuil qui sera désormais sa raison de retraite. Dans ces conditions, il vole plus qu’il ne marche. De 25 km par jour sur la route de Compostelle, il en couvre de 35 à 45 par jour, sac au dos puis en traînant une carriole de son invention pour réussir la traversée du premier désert, le Dasht-e Kavir iranien. Plus tard, il fera des journées de 50 km et établira son record dans le désert du Gobi avec 68 km couverts en une journée grâce à Ulysse, son second chariot, compagnon des bons et des moins bons jours.
Pour répondre à la demande de centaines de lecteurs, Bernard Ollivier a refait en 2004, en voiture cette fois, la route de la soie en compagnie du talentueux dessinateur François Dermaut : c’est qu’on lui réclamait des images de son fabuleux voyage. Il en a résulté un autre livre, Carnets d’une longue marche, avec quelque deux cents aquarelles, et deux documentaires sur la route de la soie. Désormais, riche de cette expérience et de ses droits d’auteur, il peut se consacrer à l’aventure qui consiste à tenter de réinsérer socialement des adolescents délinquants. C’est assez simple en apparence ; il suffit de leur faire parcourir 2 500 km sac au dos, en autonomie, dans un pays étranger. Mais c’est beaucoup plus difficile que de marcher 12 000 km sur la route de la soie. Aujourd’hui toutefois, Bernard Ollivier a une grande satisfaction, celle d’avoir découvert que la retraite, finalement, n’a rien d’ennuyeux.
En savoir davantage sur :
Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Carnets d’une longue marche, Nouveau voyage d’Istanbul à Xi’an
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