Aiguilles de Bavella – Corse (France)
Année 2019
© Mathilde Sapin-Defour
Nuances de blanc :
« Quand des enfants me demandent comment débuter le ski de randonnée, je leur réponds la neige. Roulez-vous dedans. Ne pensez pas sommet, dénivelée, technique, n’ayez que l’ambition de mieux connaître ce fidèle substrat. La neige. De aqidloqaq (neige molle) à naterovak (neige légère apportée par le vent), il me plaît de croire aux myriades de mots des Inuit pour la dire, c’est une matière noble qui mérite qu’on la décline. Roulez-vous dedans, bâtissez des igloos, faites corps avec elle, détrempez-vous, ayez chaud, froid, peur et envie d’elle. J’intime aux enfants de plonger dans ce blanc tellement plus vivant que son invariable représentation. Ils joueront et, sans le savoir, ils apprendront le sol. Que la neige dure du matin ramollit le jour. Que d’une neige froide on peine à faire des boules. Que le vent la durcit mais la délie du reste. Que les plats transforment moins que les pentes. Qu’une glissade n’accélère pas pareil, ici ou là. Que le manteau neigeux est comme un sandwich qui raconte l’histoire des chutes. Qu’au froid de l’hiver, la neige peut ne pas coller et laisser la glace vivre vive. Qu’il arrive à la neige de camper sous nos semelles, que l’on dit d’elle alors qu’elle botte et qu’il s’agit d’un des rares chapitres de notre histoire commune où nous pestons contre son attachement. Ils tâtonneront, ils se tromperont, ils progresseront. Sans skis, à simplement s’agiter dans le blanc. On en sort dégourdi, familier des nuances, des teintes et des bruits de la neige. Les plus curieux du minuscule iront jusqu’aux enseignements académiques, ils sauront nommer les cristaux : les gobelets, les grains fins, les particules reconnaissables. Oui, c’est bien de cela dont il s’agit, reconnaître. »
Art de la trace (L’), Petits détours sur le ski de randonnée et les neiges d’altitude
(p. 36-38, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2020, rééd. 2022)