Luc de Revel

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Devant l’église Saint-Georges à Lalibela – région Amhara (Éthiopie)
Année 2010
© Luc de Revel
Ancien général des troupes de marine, ayant une expérience forte et variée de l’Afrique.

Retour en Éthiopie :


« Le hall de l’hôtel n’avait pas bougé. Peut-être les vastes banquettes de cuir étaient-elles un peu plus fatiguées ! Le Sheba Lounge était encore ouvert. Il voulait y boire sa première bière éthiopienne après toutes ces années. Le piano était là, au fond de la pièce, sur une estrade. Il fixa l’instrument un moment puis s’assit dans un fauteuil cramoisi. À trois tables de là, des clients discutaient dans la pénombre. Le barman échangeait quelques mots avec une serveuse ; eux aussi parlaient à voix basse. L’atmosphère était calme, ennuyeuse. La fille prit la commande et revint presque aussitôt avec une St. George. Elle se pencha vers lui en remplissant son verre et il la trouva belle. Il pensa à Amareche. Était-ce son sourire ou son allure générale, sa silhouette fine et élancée ? Il n’avait jamais revu la jeune femme depuis son départ d’Éthiopie. C’est ici qu’il l’avait rencontrée. Il assistait au vernissage d’une exposition. De belles photographies aux couleurs saturées qui disaient la vie, la mort, le jeu, la guerre ; le monde et sa dualité. Il contemplait le portrait d’un vieillard et elle lui avait demandé ce qu’il pensait de ce visage profondément ridé. Puis ils étaient passés ensemble d’une œuvre à une autre et avaient poursuivi leurs échanges avec un verre.
Il n’avait prévenu personne de son retour. À quoi bon remuer le passé d’une histoire éteinte ? La serveuse avait regagné le bar et s’y appuyait. Il était tard. Arnaud devinait sa fatigue. Il leva son verre à sa santé, contempla la bouteille et eut la sensation de se sentir enfin chez lui. Il aimait cette étiquette jaune sur laquelle saint Georges à cheval terrassait un dragon. C’était ce décor qui lui faisait souvent préférer cette bière à une autre. Ils étaient restés, eux ! Où pouvaient-ils bien être à présent ? Le fil s’était dénoué mais ils avaient tant de souvenirs en commun. Aurait-il l’occasion de les revoir ? Ceci devrait être possible en cherchant un peu ? Il leva à nouveau son verre. Il but pour eux, pour le pays, pour ses habitants. Il changea de fauteuil et fixa le piano silencieux qui, au fond de la salle, trônait sur son estrade. “À toi aussi, dit-il, aux jours enfuis et aux rêves communs.”
Oui, songea-t-il, cela vaudrait le coût de chercher un peu. »


Extrait de :

Le Pianiste d’Éthiopie
(p. 12-13, Transboréal, « Voyage en poche », 2018)

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