Antoine Bertrandy

Épilogue :

« Dès ce soir, je ne serai plus ce voyageur céleste affranchi de tout, et il faudra que je compose à nouveau avec le costume confortable mais étriqué du quotidien. Beaucoup parlent, au sujet du retour de Compostelle, de retour “à la vie réelle” ; je ne parviens pourtant pas à adopter cette expression. Le Camino, c’est aussi la vie réelle, mais un réel rendu merveilleux par la confrontation permanente avec le laid et avec le beau, avec le mystique et le vulgaire, avec l’anodin et l’inoubliable, par la succession des joies et des tristesses, par le recueillement de la solitude et la richesse des rencontres. Un réel intense et puissant. C’est une expérience qui porte bien au-delà de Santiago. Qui enveloppe de bienveillance. De bienveillance envers autrui et, surtout, envers soi-même. Soi, ce centre de tout. Moi. Toi aussi. Ce monsieur nobody, cet ami, ce mari, ce père, ce fils, ce laborieux, ce bourgeois, ce rebelle, ce lâche et ce téméraire, ce frustré et ce jouisseur, ce quidam et ce nabab, cet altruiste et cet égoïste. Cet individu sans qui tout serait identique et rien exactement pareil. Cet “un” parmi la multitude, cet homme seul et lié, ce passager furtif entre le passé et l’avenir, cet équilibriste du présent, cet acteur de l’immense et du minuscule. Cet homme, cette âme, cet être. Je suis, comme toi qui es arrivé avec moi au bout de ce récit, je suis tous ces hommes, tu es tous ces hommes dont la richesse a éclairé mes pas, de quelques mots, d’un geste ou d’un long discours, par une contagion discrète, pas toujours immédiate mais certaine. »