Saint-Vincent-du-Boulay, Lieuvin – Eure (France)
Année 2007
© Sophie Zénon
III. Travaux – Prête pour la traite :
« À la lingerie, ce matin, j’ai récupéré une cotte verte et un chandail, sortis de la machine à laver. Un peu plus tôt, au réveil, j’avais pris soin de choisir une tenue adéquate parmi les vêtements destinés uniquement au travail, rangés sur ma troisième étagère en partant du haut. Pas besoin de glace, ni de me pomponner outre mesure, l’essentiel étant d’être à l’aise. Pas de vêtements trop serrés, ni trop amples non plus car ils devront tenir sous la cotte. Il fait encore froid pour un mois de mai, alors je sors une paire de chaussettes assez chaude, qui tient bien aux mollets et ne glissera pas à la première occasion au fond des bottes : c’est très désagréable. Un vieux jean usé, mais que j’aime encore bien. Je ne peux plus m’en servir que pour travailler, et si du lait traverse la cotte pendant que je donne à boire aux petits veaux, il me suffira de le laver : c’est tout ! J’enfile aussi un grand tee-shirt rayé bleu et blanc, à manches longues, que je portais lorsque j’étais enceinte. Par-dessus, le pull orange à col roulé, défraîchi mais que j’aime parce que je m’y sens bien. Me voilà prête à descendre boire mon thé. Juste avant de sortir, je complète ma tenue : la cotte à fermetures éclair de plastique rouge, les bottes vertes au liséré bleu marine. Je peux rejoindre la salle de traite : je suis en tenue de travail.
Le moment que je préfère, c’est celui où j’aperçois Chouchoute dans le parc d’attente, juste avant la traite. Elle se tient souvent parmi les premières. Je sors de la fosse et monte vers elle. Je la prends par le cou, lui fais un bisou, la caresse entre les oreilles, sur le ventre. Elle glisse sa tête, son cou contre moi. J’essaie de la diriger vers les quais de traite, mais elle se décide rarement à passer tout de suite. Finalement, elle me tourne le dos. Alors je pousse Rainette, Tocade, Tartine? en respectant leur ordre de préférence. Pendant que les machines sont en route, Chouchoute revient se mettre au milieu, balance sa tête du haut des marches, rumine au-dessus de moi. Elle cherche encore les caresses, attend des flatteries, pose sa tête sur mon épaule dès que je m’approche. Elle daigne enfin prendre son tour et s’engage sur le quai. Tout en la branchant sur la trayeuse, je lui caresse la patte avec une attention particulière, ainsi que la mamelle. Je lui parle.
J’aime mon métier pour ce contact privilégié avec mes vaches et avec certaines d’entre elles en particulier. Deux génisses, Ultime et Utopie, viennent d’entrer dans le troupeau. Depuis qu’elles sont toutes petites, je sais que le plaisir sera au rendez-vous, avec elles aussi? »
Plumes des champs, Itinéraires paysans en Normandie
(p. 92-93, Transboréal, ? La clé des champs », 2007)