Terre de Feu (Chili)
Année 1998
© Thierry Debyser
La balade des confins :
« Le vent bascule au sud-est et forcit progressivement. Nous sommes heureux de retourner à la manœuvre, fouettés par la pluie et les embruns. Pendant plus de vingt-quatre heures, c’est du force 7, montant jusqu’à 8 lors de notre sortie des latitudes patagonnes, comme un dernier signe de cette région qui nous a tant marqués et qui semble nous envoyer un message d’adieu. La Volta se pare de nouveau de sa robe de gros temps, trois ris et toumentin. Nous croisons notre premier cargo depuis le cap des Vierges, et des dauphins viennent batifoler autour du bateau. Enfin, un oiseau jaune élit notre cuisinière pour y passer la nuit.
Je ressens lors de ce coup de vent, dans la mer forte qui nous entoure, un peu de ce que notre périple a pu m’apporter. Je me sens parfaitement serein, malgré l’absence de réception de prévisions météorologiques. Je me perçois plus fort, plus sûr de moi, conscient d’être en train de réussir une entreprise importante, comme je n’en avais jamais réalisé jusque-là dans ma vie. Je me sens réellement grandi. Au-delà de la satisfaction personnelle, des sentiments plus ambigus apparaissent. Je me surprends à penser que par la seule évocation de ce voyage le besoin de reconnaissance, que nous recherchons tous, sera plus facilement comblé : j’ai fait mes preuves, à mes yeux et à ceux des autres. »
La Volta, Au cap Horn dans le sillage des grands découvreurs
(p. 252-253, Transboréal, ? Sillages », 2004 ; rééd. Gaïa 2015)