Conclusion :
« À l’exemple des patriarches en exil, les marcheurs du Tro Breiz sont des “étrangers et des voyageurs sur la Terre”. Même s’il est breton, le pèlerin est en effet “étranger” en Bretagne : le peregrinus est celui qui a quitté sa patrie. Il lui faut donc redécouvrir son pays, modifier son regard quotidien. Les amis croisés, les repères familiers : c’est tout son environnement qui se remet en question. Le pèlerinage est ce nécessaire bouleversement qui rend l’être entier disponible. Homo viator, il se découvre moriturus viator : car son entreprise le hisse vers une autre dimension, symbolisée par le cercle qu’il dessine sur la terre. Telle la crosse des évêques dont il honore la mémoire, son bourdon est là pour le lui rappeler, à chaque pas : antenne dressée vers le ciel, il lui signale sa vocation. Une vocation livrée au risque du chemin et au hasard des rencontres, placée sous le signe de l’abandon et du renoncement. Ne s’agit-il pas de s’alléger afin de se préparer au dépouillement final ? Certes, le pèlerin rejoint son point de départ lorsqu’il a “bouclé la boucle”, mais il revient différent. Au rythme lent de la marche, il a désappris ce qu’on lui avait enseigné. Puis il a commencé à recueillir l’écho du chemin : un message venu du fond des âges, reflet d’une sagesse ancestrale. Celle des moines qui ont un jour quitté leur pays pour s’en remettre aux mains de la divine providence. Comme eux, le pèlerin rompt les amarres. Comme eux, il n’a d’autre assurance que celle d’avoir fait le bon choix : il connaît ce qu’il quitte, il ne sait ce qui l’attend. Le Tro Breiz ouvre une voie difficile et, comme chaque route de pèlerinage, exigeante. Telle est la passionnante aventure des “chemins verts”, sillons mystérieux qui conduisent, par des détours sinueux, au Paradis. »
Tro Breiz, les chemins du Paradis, Pèlerinage des Sept Saints de Bretagne
(p. 210-211, Presses de la Renaissance, 2006)