Émeric Fisset

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Vallée de la Dillinger, bassin du Kuskokwim – Alaska (États-Unis)
Année 1994
© Émeric Fisset
Éditeur, écrivain-voyageur. A séjourné dans plus d’une soixantaine de pays et entrepris cinq raids en solitaire de longue durée.

Avec ou sans raison :


« Qu’un être se contente d’un sac et de godillots pour équipement, d’un quignon et d’une pomme pour nourriture, du grand air et de sourires pour viatique, n’est-ce pas suspect ? Ce passant n’est-il pas louche ou simplet ? Ne cache-t-il pas quelque chose, lui qui, visiblement, n’a rien à cacher ? Un étranger entouré d’une équipe logistique ou de tournage, cela est clair : il n’a pas à justifier sa démarche, surtout si un dossier de presse s’en charge pour lui. Mais un homme seul sous la pluie, fatigué et affamé de surcroît, cela n’a guère de sens dans une société où la liberté s’exprime par les loisirs, c’est-à-dire par des activités le plus souvent organisées, encadrées, limitées dans le temps et dans l’espace. Car c’est la liberté que revendique le voyageur à pied : sa liberté de mouvement, sa liberté de regard, sa liberté d’esprit. Il n’est pas en week-end ni en vacances : il est en route, sur la route qu’il s’est choisie et qu’il arpente par le pouvoir de sa seule résolution.
Ce qui paraît difficile à concevoir en Occident l’est tout autant, mais pour d’autres raisons, partout ailleurs dans le monde. Comment le paysan courbé sur son lopin de terre ou le pasteur veillant sur son troupeau pourrait-il croire qu’un être sans travail parvienne à subsister et à abandonner longuement sa famille, ses amis, sa tribu ou son ethnie en somme, sans se sentir immensément seul au monde ? Mort au monde… Il faut donc que le piéton réussisse à faire comprendre à ses interlocuteurs que tel geste, tel détail de l’habillement, telle coutume dont il est à l’instant même le témoin donne une forme de justification à sa venue, à ses efforts, au risque qu’il a pris de venir jusque-là. Et que l’accueil de ses hôtes, celui qu’on lui prodigue à l’instant même, compense par sa chaleur et sa générosité les liens familiaux qu’il a volontairement dénoués. En définitive, que ce n’est pas le voyageur qui porte en lui la justification de son voyage mais qu’à l’inverse c’est le voyage, grâce à l’intensité de l’instant vécu et de la relation établie, qui justifie jour après jour le passage du voyageur. »


Extrait de :

L’Ivresse de la marche, Petit manifeste en faveur du voyage à pied
(p. 59-61, Transboréal, « Petite philosophie du voyage », 2008, 8e éd. 2019)


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