Nara et la plaine de Yamato :
« Le soleil doré de novembre brille à travers les branches des mandariniers mikan. La plaine est baignée d’une lumière douce qui se reflète sur les monts Kasagi, à l’est.
Un train local me conduit à Sakurai. Je souhaite me rendre à Omiwa-jinja, l’un des plus anciens sanctuaires shintoïstes du pays, où l’on vénère le mont Miwa. À l’entrée, près du portail en bois, plusieurs échoppes vendent des Miwa somen artisanaux, des nouilles fines servies avec un bouillon de saison, selon une tradition vieille de mille deux cents ans. Je m’en régale avant de visiter le site lui-même, orné de chrysanthèmes, fleurs de la famille impériale. À l’intérieur de l’enceinte, au pied du mont Miwa, des panneaux indiquent ma destination du jour, le Yamanobe-no-michi, littéralement “la route au pied de la montagne”.
La meilleure période pour parcourir ce sentier chargé d’histoire est sans doute la saison de la nostalgie heureuse, ce moment où le souvenir de l’été qui rend son dernier souffle se matérialise en petits soleils étincelants, les kakis, sur les branches nues des arbres. La campagne est inondée d’une lumière chaude, les champs et les vergers se fondent dans un paysage satoyama, un concept qui reflète l’union harmonieuse entre la présence humaine et l’espace naturel. Ici, au pied des monts Kasagi, le Yamanobe-no-michi serpente par des chemins de terre, des routes tranquilles et de petits villages agricoles en direction de Tenri. En longeant des stèles sur lesquelles sont gravés des poèmes me reviennent des vers de Bashô, dont on dit qu’il est passé par là lors de son voyage dans la province de Yamato :
“Les feuilles de lierre
Sont teintées du passé
Feuillage d’automne”
Je songe au chemin parcouru ces derniers mois. Les souvenirs ont atteint la fin de leur cycle de vie. Ils m’ont été nécessaires pour arriver à ce moment, comme l’automne est nécessaire au prochain printemps. Un nouveau cycle se prépare. Cette intuition bouddhiste est sensible à chaque pas : chaque pierre a sa propre vie, chaque arbre a vu passer des générations de pèlerins, tous en quête d’un sens qui nous échappe, comme l’horizon.
Le chemin traverse des bosquets et passe au pied des célèbres kofun, lieux de sépulture des plus anciennes dynasties du Japon. Plusieurs temples et sanctuaires se trouvent ici, comme le Hibara-jinja, auxiliaire d’Omiwa-jinja. Une autre structure au toit de chaume appartient au sanctuaire Yatogi, où l’on vénère les quatre divinités de l’important Kasuga-taisha, qui se trouve à Nara.
En cette saison, les paysans vendent le long de la route des kakis de différentes variétés : frais ou secs, coupés en fines tranches, fruits entiers, secs en apparence mais avec un cœur tendre et juteux. C’est un véritable plaisir sensuel que de les déguster. Délicieux kakis, mandarines mikan légèrement acides et poires nashi savoureuses et parfumées. Les fruits sont presque trop mûrs et un sentiment de nagori m’envahit : ce petit arrière-goût de nostalgie qui caresse ma gorge, un doux sentiment d’arrière-saison qui réchauffe mon esprit. Nagori, ou la “nostalgie de la saison qui vient de nous quitter”, comme l’explique si bien Ryôko Sekiguchi.
Inexorablement, l’après-midi touche à sa fin. Dans un dernier salut, le soleil incline profondément sa course alors que je pénètre dans l’enceinte du sanctuaire Isonokami, à la périphérie de Tenri, cet autre haut lieu spirituel de la culture du Yamato. Coqs et poules déambulent autour d’un étang dans la forêt. La réminiscence de la lumière d’automne m’envahit alors que les ombres s’allongent et que le goût sucré du kaki persiste dans ma bouche.
Comme des étoiles filantes
Les feuilles d’érables
Tombent sur la mousse
Balayées par le vent de novembre
Ou le jardinier
Un train m’emmène à Nara dans le crépuscule. Un moine-pèlerin dans son habit traditionnel demande l’aumône. En contrepartie de quelques pièces, il me fait cadeau de son sourire et d’une poignée de bonbons. Je rentre à Kyôto. Demain, j’ai rendez-vous avec Shuntarô, le journaliste rencontré le premier soir à Kyôto et qui est devenu un ami : nous partirons ensemble dans le nord de la préfecture, sur la mer du Japon, où nous passerons la nuit. C’est un endroit que je n’avais pas encore pris le temps de visiter : un autre morceau qui composera l’image de Kyôto, ville aux mille visages. »
Cerisiers en fleur (p. 25-27)
Penser Kyôto comme une montagne (p.121-123)
Extrait court
« Le soleil doré de novembre brille à travers les branches des mandariniers mikan. La plaine est baignée d’une lumière douce qui se reflète sur les monts Kasagi, à l’est.
Un train local me conduit à Sakurai. Je souhaite me rendre à Omiwa-jinja, l’un des plus anciens sanctuaires shintoïstes du pays, où l’on vénère le mont Miwa. À l’entrée, près du portail en bois, plusieurs échoppes vendent des Miwa somen artisanaux, des nouilles fines servies avec un bouillon de saison, selon une tradition vieille de mille deux cents ans. Je m’en régale avant de visiter le site lui-même, orné de chrysanthèmes, fleurs de la famille impériale. À l’intérieur de l’enceinte, au pied du mont Miwa, des panneaux indiquent ma destination du jour, le Yamanobe-no-michi, littéralement “la route au pied de la montagne”.
La meilleure période pour parcourir ce sentier chargé d’histoire est sans doute la saison de la nostalgie heureuse, ce moment où le souvenir de l’été qui rend son dernier souffle se matérialise en petits soleils étincelants, les kakis, sur les branches nues des arbres. La campagne est inondée d’une lumière chaude, les champs et les vergers se fondent dans un paysage satoyama, un concept qui reflète l’union harmonieuse entre la présence humaine et l’espace naturel. Ici, au pied des monts Kasagi, le Yamanobe-no-michi serpente par des chemins de terre, des routes tranquilles et de petits villages agricoles en direction de Tenri. En longeant des stèles sur lesquelles sont gravés des poèmes me reviennent des vers de Bashô, dont on dit qu’il est passé par là lors de son voyage dans la province de Yamato :
“Les feuilles de lierre
Sont teintées du passé
Feuillage d’automne”
Je songe au chemin parcouru ces derniers mois. Les souvenirs ont atteint la fin de leur cycle de vie. Ils m’ont été nécessaires pour arriver à ce moment, comme l’automne est nécessaire au prochain printemps. Un nouveau cycle se prépare. Cette intuition bouddhiste est sensible à chaque pas : chaque pierre a sa propre vie, chaque arbre a vu passer des générations de pèlerins, tous en quête d’un sens qui nous échappe, comme l’horizon.
Le chemin traverse des bosquets et passe au pied des célèbres kofun, lieux de sépulture des plus anciennes dynasties du Japon. Plusieurs temples et sanctuaires se trouvent ici, comme le Hibara-jinja, auxiliaire d’Omiwa-jinja. Une autre structure au toit de chaume appartient au sanctuaire Yatogi, où l’on vénère les quatre divinités de l’important Kasuga-taisha, qui se trouve à Nara.
En cette saison, les paysans vendent le long de la route des kakis de différentes variétés : frais ou secs, coupés en fines tranches, fruits entiers, secs en apparence mais avec un cœur tendre et juteux. C’est un véritable plaisir sensuel que de les déguster. Délicieux kakis, mandarines mikan légèrement acides et poires nashi savoureuses et parfumées. Les fruits sont presque trop mûrs et un sentiment de nagori m’envahit : ce petit arrière-goût de nostalgie qui caresse ma gorge, un doux sentiment d’arrière-saison qui réchauffe mon esprit. Nagori, ou la “nostalgie de la saison qui vient de nous quitter”, comme l’explique si bien Ryôko Sekiguchi.
Inexorablement, l’après-midi touche à sa fin. Dans un dernier salut, le soleil incline profondément sa course alors que je pénètre dans l’enceinte du sanctuaire Isonokami, à la périphérie de Tenri, cet autre haut lieu spirituel de la culture du Yamato. Coqs et poules déambulent autour d’un étang dans la forêt. La réminiscence de la lumière d’automne m’envahit alors que les ombres s’allongent et que le goût sucré du kaki persiste dans ma bouche.
Comme des étoiles filantes
Les feuilles d’érables
Tombent sur la mousse
Balayées par le vent de novembre
Ou le jardinier
Un train m’emmène à Nara dans le crépuscule. Un moine-pèlerin dans son habit traditionnel demande l’aumône. En contrepartie de quelques pièces, il me fait cadeau de son sourire et d’une poignée de bonbons. Je rentre à Kyôto. Demain, j’ai rendez-vous avec Shuntarô, le journaliste rencontré le premier soir à Kyôto et qui est devenu un ami : nous partirons ensemble dans le nord de la préfecture, sur la mer du Japon, où nous passerons la nuit. C’est un endroit que je n’avais pas encore pris le temps de visiter : un autre morceau qui composera l’image de Kyôto, ville aux mille visages. »
(p. 160-163)
Cerisiers en fleur (p. 25-27)
Penser Kyôto comme une montagne (p.121-123)
Extrait court