Collection « Nature nomade »

  • Sagesse de l’herbe
  • Adieu Goulsary
  • Avec les ours
  • Bergère
  • Initiation (L’)
  • Un hiver de coyote
Couverture
Il est là tout près :

« Cela fait partie de mes petites habitudes en estive, j’adore me coucher tôt. Le jour tombe, mes paupières aussi. C’est pourquoi je dors déjà quand, à 23 heures, je suis réveillée par des cloches.
Aboiements, échos sourds, centaines d’onglons déchaînés martelant le sol. Je me lève d’un bond pour regarder par la porte vitrée et, malgré la pénombre, je devine aux mouvements désordonnés que c’est le chaos dehors. Ma tête encore enivrée de sommeil me souffle : “Arrête, tu es en plein rêve, retourne te coucher.” Pourtant, à l’extérieur, la scène continue d’évoluer : les brebis folles affluent autour de la cabane, se bousculent dans le dénivelé. Oseille et Lentille ont les yeux exorbités. Elles hissent leur tête au plus haut pour ne pas se faire engloutir dans la marée laineuse. Le troupeau, comme une vague hystérique, court de part en part du vallon avec une force incroyable.
J’ouvre la porte et braque une lampe puissante sur le troupeau. Je prends une grosse décharge d’adrénaline en constatant l’état de stress des brebis et des chiens. Ce n’est pas le moment de penser mais d’agir et, pourtant, ce qui me vient à l’esprit, c’est qu’il est étonnant qu’elles utilisent une telle force pour fuir. À elles toutes, elles pourraient défier des géants. Je me demande si je vais être capable de les stopper.
Le stress me réveille complètement et mon cerveau se met en état d’urgence. L’urgence ne suppose pas la panique, mais une impérative efficacité. En une seconde, je constate, j’analyse et je choisis la solution. Une liste d’actions se dessine et très vite, je décide dans quel ordre agir. C’est une attaque d’ours. Je ne sais pas où il se trouve. Il est peut-être ici. Première question à laquelle je dois répondre : est-ce que je me protège et reste enfermée ou est-ce que je sors calmer mon troupeau et éviter qu’il ne se mette en danger ?
Quand je vois les brebis prendre le sentier qui mène à la vallée, ma décision est prise. Je ne peux pas les laisser quitter l’estive, le chemin est abrupt. Je ne veux pas les abandonner. Je suis là pour les protéger. Je ressens de la loyauté envers elles. J’enfile en vitesse des sabots et une veste, je pose cette grosse lampe qui fait peur aux bêtes et sors avec ma petite frontale, Noké sur mes talons. Le froid de la nuit me transperce : je ne suis pas en train de rêver, c’est bien la réalité, glaçante.
Sans rien y voir, juste au bruit des sonnailles qui s’éloignent vers la vallée, et au risque d’effrayer les brebis, je décide de faire confiance à ma chienne. Je ne sais pas quoi dire, quel ordre utiliser pour lui faire comprendre. Rattrape-les si tu peux, là tout de suite dans la nuit, tout repose sur toi. Mais je suppose qu’elle a compris la situation et mon impuissance, et je lui dis simplement avec gravité “Vas-y, Nok”. »
(p. 135-138)

Tout ce à quoi j’aspirais (p. 61-62)
Un visage de brebis têtue (p. 82-83)
Extrait court
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