Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Petits rituels de groupe :

« Une amitié durable est celle qui retrouve un terrain d’entente à chaque nouvelle épreuve. C’est un cycle sans cesse renouvelé, un moulin à eau qui tourne avec le courant né de nos différences. Au fond, tout ceci est un paradoxe : on s’attache à quelqu’un par affinité sur un sujet et la suite s’ennoblit par la découverte de ce qui nous distingue. Le lien s’enracine au fil du temps, et nul effort sans persistance. Et dans un monde où tout va toujours plus vite, donner du temps, c’est pratiquement être un résistant. Le petit prince apprend dans le désert que les hommes n’ont plus la patience de connaître. Or, “être apprivoisé”, ce que lui demande le renard, c’est la requête d’une empathie inscrite dans la durée, un don de soi. Ensuite seulement ils deviendront amis car alors ils seront l’un pour l’autre “uniques au monde”. Dès lors, quand on décèle enfin le trésor dans les yeux de son égal, la rareté devient une chance et la différence un moteur. Pour certains, l’unicité du lien ainsi créé doit être honorée, voire revendiquée auprès du monde extérieur. À tel point que s’établit parfois au sein d’une bande ou d’un duo un rituel, une expression verbale intime, marquant physiquement la considération de l’ami en tant que tel ou l’appartenance à un groupe affichant son identité. Pendant des années, au sein d’une bande de copains s’est établie notre philosophie du “tant mieux !”. Elle consistait à réagir avec l’expression en question face à toute situation donnée, qu’elle fût joyeuse ou malheureuse. Que ta petite amie te quitte, tant mieux ! tu viendras plus souvent aux soirées ! Que tu partes loin pendant longtemps, tant mieux ! il y aura désormais un prétexte pour voyager. Que ta voiture tombe en panne, tant mieux ! tu feras plus de vélo… Nous avions commencé à exporter l’expression française un peu partout dans nos pérégrinations lors de nos premiers séjours à l’étranger. Des comparses américains, suédois, italiens y tentaient des “tant mieux !” au mauvais accent dans les soirées arrosées, car nous n’arrivions pas à trouver d’équivalent dans les autres langues. Du coup, des mélanges avaient vu le jour : au Chili c’était “Tant mieux po weón !” plus ou moins traduit par “Mais tant mieux, mon gars !”. C’était devenu un slogan dépassant même notre cercle initial, comme une espèce de joyeuse confrérie burlesque par-delà les frontières.
Ces délires sont en quelque sorte le fruit de penchants qu’on ne pourrait afficher nulle part ailleurs. Pendant mes études, le slogan non officiel de ma promotion était “On est tous copains !”. Cet affichage assumé a, d’une certaine manière, aidé à établir un esprit fraternel car, des années plus tard et malgré l’éloignement, je garde un lien privilégié avec mes anciens camarades. L’esprit de groupe est un refuge d’extravagances que l’on s’autoriserait mal avec la famille, dans le travail ou la vie sentimentale. Certains en font même un défouloir et aiment à montrer leur importance par des coups bas qu’une certaine intimité légitimerait. Comme lors de la fête des 30 ans d’un copain : ses plus proches amis avaient tourné une courte vidéo dans laquelle on les voyait dévaster son appartement. À la fin de la diffusion devant les invités, le nouveau trentenaire embrassa chaleureusement ceux qu’il avait vus à l’écran finir d’achever sa salle à manger en vitesse accélérée. “Qui aime bien châtie bien”, dit le proverbe. Qu’il soit sain ou non, le désintéressement du rapport amical engage certains à des vengeances intimes qui s’inscrivent parfois très loin dans l’excès. Dans tous les cas, la force des rituels et des habitudes fait appel à une imagination catalysée par l’autre, spectateur qui en redemande. Et s’il devait y avoir un indicateur d’intensité de l’amitié, la quantité de divagations en tout genre en serait une bonne unité de mesure.
Une identité de groupe s’établit par tâtonnements, comme si elle devait d’abord faire ses preuves, mais sans rien à perdre. C’est un tableau sur lequel chacun dessine à son tour. On y vient créer, voir ce qu’il est possible de réaliser. Lorsque j’ai eu 18 ans, baccalauréat et permis de conduire en poche, je suis parti avec cinq copains en voiture jusqu’à la côte croate. Soucieux d’inclure ce qui nous faisait tous vibrer, nous emportions avec nous le nécessaire pour sillonner le littoral dalmate pendant un mois à coups de marches sportives dans les contreforts des Alpes dinariques, de plongeons du haut de falaises de plus de 15 mètres au préalable grimpées en varappe. Nous dormions dans les parcs publics du centre-ville de Split, nous atteignions à vélo le bout des presqu’îles pointées sur la carte ou encore descendions le plus bas possible en apnée le long de la côte à Rijeka. L’âge de la liberté nous a fourni l’occasion de définir, sans le formaliser, mais par une impulsion bien réelle, un état d’esprit. Il s’agissait de “se la donner” à travers de petites aventures lors de nos pérégrinations. L’âge adulte a bien essayé de l’émousser. Il l’a parfois mis en veille, mais l’enthousiasme perdurait en pensée, profondément ancré par le souvenir et ravivé par l’imagination. Chaque fois, l’un d’entre nous venait inspirer le désir des autres pour s’y plonger ensemble, encore une fois. Les projets devenaient de plus en plus sérieux au fil du temps, jusqu’au jour où Morgan a décidé qu’il en ferait un parcours de vie de plusieurs années. Qui voudrait le suivre était le bienvenu autour du monde. Aussi simplement que cela, un rêve devenait réalité. Il avait le courage de mettre l’opportunité sur la table et la force du groupe engageait chacun vers un avenir commun lointain. L’état d’esprit prenait le pas sur nos vies, il devenait nos vies. Siphay, Bertrand, Étienne et moi choisîmes d’alimenter le feu de l’instant présent pour résister à l’évidence d’une existence en col blanc. En somme, c’était la décision de vivre libres. C’était peut-être une folie, mais elle semblait impossible à regretter et assez satisfaisante pour y mettre toute l’énergie disponible. Et puis la folie est un concept relatif : si tout le monde y souscrit, ne devient-elle pas la référence ? Parfois, je me dis même que c’est l’écart avec une certaine normalité, elle aussi toute relative, qui définit l’identité d’un groupe d’amis. Elle s’élève au-dessus du carcan des normes comme une île dans l’océan. Sur son rivage, assis coude à coude et regardant loin dans la même direction, nous sourions aux vagues. »
(p. 30-35)

L’amitié peut-elle être virtuelle ? (p. 23-27)
Et l’amour dans tout ça ? (p. 67-71)
Extrait court
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