Cerisiers en fleur :
« La pluie incessante hachure toujours le ciel noir et menaçant. Mes pensées vagabondent à travers le tumulte des flots. Pour me changer les idées, je prends un bus touristique afin de visiter le Kenroku-en, l’un des trois jardins majeurs du Japon. Les jardins japonais ont depuis toujours exercé une fascination particulière sur moi. Lors du précédent voyage, je m’étais rendu dans les deux autres jardins historiques : le Kôraku-en à Okayama et le Ritsurin-kôen à Takamatsu. Tous exigent une imagination active. Les créateurs laissent de l’espace pour que les visiteurs puissent compléter la scène dans leur esprit. L’imagination ajoute de la profondeur à la beauté des paysages formés de roches, d’eau et de plantes. La contemplation d’un jardin japonais peut s’apparenter à la lecture d’un roman. Le regard qu’on y porte ne sera pas le même en fonction des différents moments de sa vie. Qui n’a jamais repris un livre lu des années auparavant en s’étonnant de certaines choses qu’il n’avait pas remarquées ou comprises ? Les jardins peuvent avoir le même effet.
Il y a toujours eu cette volonté au Japon de recréer la nature en miniature afin de pouvoir la garder en ville, chez soi. Il s’agit d’une forme de sacralisation mais aussi de domestication du naturel qui, cependant, rend la nature abstraite en la réduisant, dans une certaine mesure, à une expression artistique. Dans un jardin japonais paysager, on retrouvera ainsi des pierres imitant des falaises, de petites cascades rappelant les bruyantes chutes d’eau des montagnes, du gravier qui symbolise l’océan, de la mousse des sous-bois… Tout y est métaphorique, ce qui ajoute une signification spirituelle, qui trouve bien sûr son apogée dans les jardins de pierre entourant les temples zen. Contrairement aux jardins européens, un jardin japonais fuit la symétrie – tout y apparaît naturel, mais en réalité rien n’est laissé au hasard. Telle pierre se trouve à tel endroit pour une raison bien précise, et il faut étudier cet art pendant de nombreuses années en vue d’en saisir toutes les nuances. Cela semble d’ailleurs une clé de compréhension pour l’ensemble du pays : le Japon ne se révèle jamais au premier coup d’œil, il faut l’approcher à petits pas, avec humilité et patience, et surtout avec persévérance, une des qualités les plus appréciées ici. La persévérance est d’ailleurs essentielle à cet autre art, qui recrée la nature, le bonsaï. Ces arbres en pot miniatures sont cultivés selon certaines règles. Accompagner le développement d’une plante de la graine au bonsaï mature requiert de nombreuses années, souvent des décennies. Au Japon, certains bonsaïs ont plus de 500 ans : ce sont des trésors nationaux, perfectionnés et transmis par des générations de maîtres jardiniers.
L’art du jardin et du bonsaï en dit long sur la relation symbiotique qu’entretenaient les Japonais autrefois, et encore un peu de nos jours, avec la nature. L’écologisme reste pourtant marginal au Japon, et les questions de protection de l’environnement et d’une consommation écoresponsable sont souvent l’apanage de quelques idéalistes, qui restent marginaux dans une société conformiste et consumériste, dans les métropoles notamment. Pourtant, c’est au fil de mes voyages au Japon que j’ai rencontré un grand nombre d’adeptes d’un style de vie plus simple et proche de la nature : jeunes couples pratiquant la permaculture, faisant de l’artisanat, gérant des cafés avec cuisine végane. C’est à travers ces personnes-là que persiste le respect pour l’environnement naturel qui fut à la base de l’ancienne culture contadine japonaise, fondée sur la culture du riz et l’adaptation aux saisons. »
Penser Kyôto comme une montagne (p.121-123)
Nara et la plaine de Yamato (p. 160-163)
Extrait court
« La pluie incessante hachure toujours le ciel noir et menaçant. Mes pensées vagabondent à travers le tumulte des flots. Pour me changer les idées, je prends un bus touristique afin de visiter le Kenroku-en, l’un des trois jardins majeurs du Japon. Les jardins japonais ont depuis toujours exercé une fascination particulière sur moi. Lors du précédent voyage, je m’étais rendu dans les deux autres jardins historiques : le Kôraku-en à Okayama et le Ritsurin-kôen à Takamatsu. Tous exigent une imagination active. Les créateurs laissent de l’espace pour que les visiteurs puissent compléter la scène dans leur esprit. L’imagination ajoute de la profondeur à la beauté des paysages formés de roches, d’eau et de plantes. La contemplation d’un jardin japonais peut s’apparenter à la lecture d’un roman. Le regard qu’on y porte ne sera pas le même en fonction des différents moments de sa vie. Qui n’a jamais repris un livre lu des années auparavant en s’étonnant de certaines choses qu’il n’avait pas remarquées ou comprises ? Les jardins peuvent avoir le même effet.
Il y a toujours eu cette volonté au Japon de recréer la nature en miniature afin de pouvoir la garder en ville, chez soi. Il s’agit d’une forme de sacralisation mais aussi de domestication du naturel qui, cependant, rend la nature abstraite en la réduisant, dans une certaine mesure, à une expression artistique. Dans un jardin japonais paysager, on retrouvera ainsi des pierres imitant des falaises, de petites cascades rappelant les bruyantes chutes d’eau des montagnes, du gravier qui symbolise l’océan, de la mousse des sous-bois… Tout y est métaphorique, ce qui ajoute une signification spirituelle, qui trouve bien sûr son apogée dans les jardins de pierre entourant les temples zen. Contrairement aux jardins européens, un jardin japonais fuit la symétrie – tout y apparaît naturel, mais en réalité rien n’est laissé au hasard. Telle pierre se trouve à tel endroit pour une raison bien précise, et il faut étudier cet art pendant de nombreuses années en vue d’en saisir toutes les nuances. Cela semble d’ailleurs une clé de compréhension pour l’ensemble du pays : le Japon ne se révèle jamais au premier coup d’œil, il faut l’approcher à petits pas, avec humilité et patience, et surtout avec persévérance, une des qualités les plus appréciées ici. La persévérance est d’ailleurs essentielle à cet autre art, qui recrée la nature, le bonsaï. Ces arbres en pot miniatures sont cultivés selon certaines règles. Accompagner le développement d’une plante de la graine au bonsaï mature requiert de nombreuses années, souvent des décennies. Au Japon, certains bonsaïs ont plus de 500 ans : ce sont des trésors nationaux, perfectionnés et transmis par des générations de maîtres jardiniers.
L’art du jardin et du bonsaï en dit long sur la relation symbiotique qu’entretenaient les Japonais autrefois, et encore un peu de nos jours, avec la nature. L’écologisme reste pourtant marginal au Japon, et les questions de protection de l’environnement et d’une consommation écoresponsable sont souvent l’apanage de quelques idéalistes, qui restent marginaux dans une société conformiste et consumériste, dans les métropoles notamment. Pourtant, c’est au fil de mes voyages au Japon que j’ai rencontré un grand nombre d’adeptes d’un style de vie plus simple et proche de la nature : jeunes couples pratiquant la permaculture, faisant de l’artisanat, gérant des cafés avec cuisine végane. C’est à travers ces personnes-là que persiste le respect pour l’environnement naturel qui fut à la base de l’ancienne culture contadine japonaise, fondée sur la culture du riz et l’adaptation aux saisons. »
(p. 25-27)
Penser Kyôto comme une montagne (p.121-123)
Nara et la plaine de Yamato (p. 160-163)
Extrait court