Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Course dans les détroits :

« Nous touchons le sommet de notre parcours : 74° de latitude nord. À 150 milles devant nous s’ouvre la gigantesque baie de Baffin. Nous ne prenons pas encore réellement conscience de ce que nous sommes en train d’accomplir. Il nous tarde simplement de faire du sud parce que la présence de la glace nous tient constamment sous tension. Je rêve d’eau sans glace. Je me demande s’il en a jamais existé quelque part. Une chose est sûre, c’est que nous n’en sommes pas sortis et que, quand il y a de la glace, il n’y a pas un peu de glace ou beaucoup de glace, il y a de la glace et la concentration que nécessite la navigation dans ces conditions est épuisante.
Nous doublons le cap Crauford vent arrière, emportés dans ce qui est devenu une vraie tempête. En tournant à l’ouest, le blizzard s’est considérablement renforcé. Sur bâbord avant, majestueux, indifférent aux éléments qui se déchaînent, aux lames qui l’assaillent comme aux embruns qui troublent l’horizon, notre premier iceberg entre en scène. Les cathédrales de glace de la baie de Baffin proviennent des glaciers du Groenland. La plupart sont entraînés vers le sud et fondent au large de Terre-Neuve. Un iceberg en lui-même est facilement repérable, en revanche il sème des fragments dont nous devons nous méfier comme de la peste. D’heure en heure, les sphinx de glace s’amassent sur notre chemin. Nous arrivons tardivement au goulet qui permet de contourner l’île Bylot par le sud. La tempête fait rage. Avec les grains, la visibilité varie de 1 à 5 milles. C’est suffisant pour que nous voyions défiler les plus gros des naufrageurs, fantomatiques dans la pénombre qui en atténue les détails. L’obscurité n’est pas totale, pourtant il nous est difficile de distinguer avec précision nos abords immédiats. Le radar nous situe dans le champ d’icebergs et nos yeux nous renseignent sur la ceinture des 50 à 100 premiers mètres. Cette veille à la barre est si exténuante que nous nous relayons toutes les trente minutes.
Le repère pour éviter les hauts-fonds qui nous interdisent le milieu de la passe entre l’île Bylot et la terre de Baffin est une île minuscule. Elle devrait apparaître clairement sur l’écran radar qui reste muet et n’indique aucune voie de dégagement vers le sud. Jean-Michel, qui a pris son tour à la barre, m’appelle. Nous ne serons pas trop de deux pour traiter ce mystère. Le temps presse, le vent hurle toujours et la mer bondit à nos trousses comme une forcenée. Je monte sur le pont, redescends et vérifie les instruments. Il n’y a pas de doute à avoir, le passage est bien là, mais derrière une muraille d’icebergs. Nous les guettons ensemble sur le pont. Bientôt, leurs silhouettes géantes jaillissent des ténèbres. Le cœur battant la chamade, je scrute les ouvertures une à une et pèse nos chances d’y passer sans dégâts. Celles que je repère sont trop étroites. La tourmente nous emporte, je ne veux pas, je ne peux pas perdre le bénéfice du portant. La distance à la barrière décroît vite. Il ne va pas falloir hésiter. Mon choix est fait. Quelque 300 mètres peut-être séparent les montagnes flottantes. D’ici, cela paraît ridiculement peu. Nous avons tous appris que les neuf dixièmes d’un iceberg sont sous l’eau et qu’à tout moment, il peut basculer, déséquilibré par sa fusion. Ses racines immergées risquent alors de catapulter le pauvre petit Ocean Search qui s’est aventuré trop près au paradis des voiliers polaires. Nous assistons maintenant aux explosions de la mer en furie à la base des murs de glace. En nous engageant dans le canyon temporaire, nous sommes surpris par une dimension de la glace que nous ne connaissions pas. Nous avons sillonné l’empire de la déesse blanche, elle nous réservait les honneurs de son palais. Une pâle phosphorescence éclipse doucement la pénombre, le fluide glacé descend d’un olympe figé sur notre monde. Il n’est jusques au vent qui soudain ne se calme. Les embruns assagis se fondent dans la vapeur marmoréenne qui baigne la nef d’albâtre. Surplombé de la sorte, j’ai le sentiment d’être toisé par quelque géant plus fort que la tempête. À la faveur de rafales qui lui balaient les flancs, nous lui arrachons notre passage, puis la bourrasque redevient régulière et insistante et nous nous éloignons de ce cimetière en puissance. Je ne peux m’empêcher, tel Orphée ressortant des Enfers, de me retourner avec une frayeur rétrospective sur ces feux follets immobiles dont l’éloignement croissant ne parvient pas à me faire oublier l’oppressante grandeur. À l’est, derrière les montagnes de Bylot, la promesse de l’aurore apaise mon esprit : la nuit et son cortège de maléfices s’achèvent. Depuis que nous avons viré au sud dans ce bras de mer, la houle si fatigante pour le bateau et son équipage devient clapot. La tempête s’estompe. »
(p. 241-243)

Le grand départ (p. 62-63)
En route pour l’océan glacial (p. 142-145)
Extrait court
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