Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Petite sociologie suburbaine :

« Le métro recrée sous la surface la sociologie des quartiers desservis, reproduction fidèle de leur typologie sociale. La ligne Boulogne/Gare-d’Austerlitz apparaît comme la plus bourgeoise du réseau, qui dessert les arrondissements huppés de la rive gauche ; il est aussi exceptionnel d’y croiser un joueur de djembé que d’entendre les accents d’un violoncelle dans les couloirs de la station Bobigny-Pablo-Picasso. Traversé par les réalités de l’extérieur dans une sorte de mimétisme implacable, le réseau en synthétise les enjeux et les crises. Par exemple, la ligne 9, l’une des plus longues, offre une intéressante déclinaison de prototypes sociaux, partant de l’est (la périphérie populaire de Montreuil avant que la ville ne devienne le repaire des bobos) pour descendre jusqu’au sud du XVIe arrondissement. Pour les besoins de mes études, j’ai eu pendant des mois à emprunter le tronçon Mairie-de-Montreuil/Exelmans, soit la quasi-intégralité de la ligne, et j’étais toujours étonné de voir comment la gent prolétaire semblait frappée d’extinction au fur et à mesure du voyage, le sac de supermarché discompte insensiblement remplacé par le baise-en-ville de grande marque. Au cours des années 1980, la ligne constitua une plaque tournante du trafic de drogue de la capitale ; véritable aubaine pour les dealers de Romainville, elle permettait l’accès direct, en à peine plus d’une demi-heure de trajet, à la clientèle du quartier de La Muette sur les quais de Bonne-Nouvelle ou de Strasbourg-Saint-Denis – stations situées à une démocratique équidistance des parties contractantes. La brigade des stupéfiants se livra à une traque impitoyable des revendeurs en multipliant les quadrillages et interventions sur le terrain. Il est vrai que le métro d’aujourd’hui, naguère présenté comme un haut lieu d’insécurité, apparaît si régulièrement investi par les forces de l’ordre que peu d’endroits suscitent encore l’angoisse du voyageur, même si la crainte du psychopathe qui précipite l’innocent passager sous les roues d’un train lors de son arrivée en station se trouve parfois sinistrement actualisée.
À la fin du voyage, la sortie donne lieu à une saisissante césure entre le voyage et sa résolution. Contrairement à la voiture ou au train, voire à l’avion, qui laissent au passager toute latitude pour s’accoutumer aux insensibles transformations du paysage et en épouser mentalement les variations, le métro impose de manière abrupte la confrontation avec le lieu de destination, parfois aux antipodes sociologiques et esthétiques de la station de départ. Monté à Jasmin, station d’un XVIe arrondissement à l’architecture haussmannienne et à l’atmosphère provinciale, le voyageur parvenu à Gallieni, dont les abords extérieurs sont hérissés de tours de quarante étages, éprouve, à la lumière du dehors, une brève impression d’étourdissement et d’hésitation, comme s’il devait se défaire d’un ancien “moi” pour adopter sans transition l’identité du lieu rejoint.
Contrôlé, enrégimenté, dominé par la technique, le métro aurait-il cessé de faire rêver ? Il demeure pourtant un espace que l’imagination peut remplir à son aise de songes et de fantaisies, comme une rêverie sur plaques d’émail portant, dans les points d’arrêt, le nom des voies ou des lieux desservis. La dénomination des stations parisiennes relève souvent de la réunion de noms propres et/ou de toponymes, sans indication toujours explicites des rues ou des avenues – là où le métro de New York se limite à l’économie minimale et littérale de 42nd Street… On assiste souvent à une rencontre poétique, où la forme sonore du mot prend le pas sur le référent qu’elle incarne et en abstrait le sens pour mieux le déréaliser. L’origine du nom – et, partant, l’espace ainsi nommé – tend à disparaître, comme s’ils s’étaient usés dans la nouvelle identité créée par l’association. C’est ainsi que les rues Censier et Daubenton ont été insensiblement recouvertes par l’entité indistincte générée par le nom composé, patronyme hybride où “Censier” semble se dessiner en position de prénom, tout comme “Bréguet”, “Reuilly”, “Chardon” ou “Mouton”, préfixes inattendus des noms d’usage “Sabin”, “Diderot”, “Lagache” et “Duvernet”. Dans ces conditions, des stations à l’intitulé explicite comme Alexandre-Dumas ou Victor-Hugo apparaissent d’une pauvre rentabilité pour l’imagination fertile du voyageur. J’en connais qui, rentrant d’une soirée très arrosée par le dernier train, connurent un bref instant de panique à la station Parmentier en s’imaginant assaillis par une armée de tubercules déchaînés…
La création d’un monde parallèle, aux contours tracés par le pouvoir de nomination de l’Instance métropolitaine, ne se limite pas à l’onomastique. Quand j’étais enfant et n’avais qu’une connaissance limitée de Paris, je me laissais parfois emporter par les mots et les scènes que mon imagination associait à la station Glacière, ancienne pièce d’eau qui constituait une réserve de glace en été pour les Parisiens, et que je me figurais comme une banquise échouée en pleine capitale. La station Commerce correspondait pour moi à une galerie marchande de la Belle-Époque, dont j’imaginais la multiplication des étals ; Chemin-Vert évoquait une trouée verte traversant la ville pour y proposer une respiration bucolique. Enfin, Place-des-Fêtes, ma préférée, faisait surgir des visions de parties de campagne avec des messieurs en canotiers et des dames s’adonnant au croquet, à la manière des vignettes sur les atouts du tarot… Aujourd’hui encore, mon esprit donne libre cours à ses vagabondages pour reconfigurer la ville à son image, selon l’humeur du moment et la destination du déplacement – à la manière d’un ouvrage intérieur à l’incessante réécriture.
C’est peut-être cet esprit qui a animé les concepteurs du métro léger de Tunis, qui dessert la proche banlieue de Carthage, dont les stations se plaisent à raviver le souvenir des origines antiques de la ville et des amours mythiques de sa reine : le passager monté à la station Salammbô pour se rendre à Amilcar passe par Hannibal, dans un voyage pétri de chair romanesque, à l’imaginaire fertile.
Le séjour dans une capitale étrangère invite, à ce titre, à un certain déplacement du regard, loin des automatismes culturels. La toponymie des stations conduit ainsi à repenser l’histoire des batailles selon le relativisme des points de vue et surtout des représentations nationales. Si la susceptibilité du Français en visite à Londres se trouve bousculée à la station Waterloo, celle du Britannique en voyage à Paris est peut-être insultée en retour à Cambronne. On peut aussi songer avec empathie à la gêne de nos amis autrichiens qui passent par Wagram, ou à l’humiliation du touriste russe qui descend à Crimée. »
(p. 73-79)

Mélodies en sous-sol (p. 36-40)
Un miroir de la surface (p. 47-50)
Extrait court
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