Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Forêt vitale :

« Marchant dans le sable d’un quartier de Dakar, au Sénégal, je m’entends un jour appeler par mon surnom en langue diola, reçu lorsque je m’étais installé pour un an dans le village de Diakène, en Casamance. C’est Joachin, l’un de mes anciens voisins, qui vient de m’interpeller ainsi. Connaissant les liens profonds qui unissent les Diolas à leur terre, je n’imaginais pas que les habitants de Diakène pussent un jour quitter leurs maisons et leurs champs pour rejoindre une ville. Pour ma part, il ne faisait pas de doute que j’avais trouvé parmi eux un lieu de vie où mon existence semblait se recentrer d’elle-même, où l’expérience du dénuement laissait entrevoir la plus essentielle des richesses. Mais c’était sans compter avec la forêt, lieu propice aux embuscades et aux disparitions, qui offre une retraite sûre à ceux qui la connaissent. La forêt de Casamance est l’un des enjeux de la revendication d’indépendance de cette région, soutenue par des groupes armés qui naturellement s’y abritent. Diakène ayant été bombardé par l’armée sénégalaise traquant les rebelles, les villageois s’étaient réfugiés dans la sécurité et l’anonymat de la capitale. Dans cette rencontre, loin de la Casamance, Joachin et moi étions deux figures opposées de l’exil : abandon d’une terre nourricière pour l’un ; quant à l’autre, exil intérieur des nantis chassés de la conscience d’appartenir au monde.
Comme au village, Joachin vit à Dakar de la récolte et de la vente du bunuk, le vin de palme. Il dispose d’une concession de quelques palmiers dans l’enceinte d’une propriété inhabitée. Cette récolte nécessite de grimper matin et soir en haut de chaque arbre, juste sous la couronne, pour inciser le pétiole d’une feuille. La sève du palmier s’écoule dans un flacon où elle entre en fermentation. Cette boisson est d’abord douce et parfumée, puis de plus en plus âpre et alcoolisée. Récolter et consommer quotidiennement le vin de palme est une tradition forte en Casamance, où nulle religion n’a encore supplanté le culte des fétiches et la croyance aux génies de la nature. Pour honorer les esprits protecteurs, il convient de leur offrir rituellement du bunuk. Le féticheur en charge de l’esprit du lieu verse un peu de boisson au sol, puis chaque participant s’associe à la libation. L’on consomme aussi le vin dans les cabarets de brousse, cachettes aménagées au cœur d’un fourré où l’on pénètre en tirant un buisson, et où l’on prend place autour d’un canari ou d’une dame-jeanne emplie de la récolte du jour. Ukobot, le gobelet traditionnel, passe en cercle de l’un à l’autre et participe peut-être du tournis qui s’installe dans une euphorie dionysiaque. Au cabaret, comme au fétiche, verser un peu de vin au sol avant d’en boire, c’est honorer la nature et rendre à la terre une part symbolique de ce que l’arbre en a extrait, tel un juste retour de sève. Les arbres comme les âmes des morts sont ainsi invités à se joindre aux hommes, qui se gorgent de leur sève et deviennent un peu arbres à leur tour, mieux enracinés dans leur vie.
Souvent, je n’ai quitté l’ombre des filaos ou des palmiers sénégalais que pour rejoindre mes compagnons au premier jour d’une nouvelle saison de récoltes. De retour sous les merisiers ou les érables de l’Hexagone, je vis encore dans le rythme solaire et agreste qui est celui de mes escapades africaines. Mais dans cette forêt-ci, c’est moi qui grimpe ! Et l’arbre que je gravis est ancré dans la puissance de la terre, au même titre que le palmier de Joachin. Par leurs racines reliées, les arbres transcendent les frontières et les continents, et lorsque je transpire à l’assaut d’une cime, ma sueur est celle de n’importe quel habitant de la planète à la recherche d’aliments ou de remèdes sylvestres, ou en quête de feuillage pour nourrir son bétail ou abriter sa famille ; tout comme, en Casamance, j’escaladais un palmier rônier pour en couper des feuilles et rénover la toiture de ma case. Tirer sa subsistance d’un milieu arboré par la seule force de son corps, c’est rejoindre la forêt fondatrice, universelle, où se confondent tous les lieux et tous les temps de l’humanité. »
(p. 33-36)

Le bonheur du récolteur (p. 22-26)
Forêt magique (p. 29-31)
Extrait court
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