Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Quel avenir aux bistrots ? :

« Du Maroc à l’Égypte, le thé se savoure avec ou sans menthe tandis que la café-quincaillerie Blossier-Rabinand de Soulgé-le-Ganelon pose sur la table, avec le café matinal, une baguette de pain croustillant et un généreux pot de rillettes de goret – Sarthe oblige. La culture religieuse et agricole du pays apporte sa diversité au menu des buvettes. Rares sont les bistrots qui élaborent eux-mêmes leur boisson, hormis les Heuriger, ces maisons de vignerons qui cultivent leurs cépages locaux sur le territoire de la capitale autrichienne, vinifient dans la cave de la maison et vendent le cru de l’année avec une nourriture roborative. Les ouvriers qui taillent la vigne et le vigneron qui élabore le vin le servent à boire, une pratique rare dans le monde vinicole. Chacun d’entre eux réussit différemment ses fermentations et c’est un plaisir renouvelé de les comparer. Depuis des siècles, une branche de sapin accrochée à l’entrée du lieu en signale l’ouverture. La vendange de l’année précédente écoulée, le Heuriger ferme jusqu’à ses prochains vins. De même, de nombreuses brasseries élaborent leurs bières à emporter ou apprécier sur place.
En entrant dans un bar, la sensation olfactive participe de l’impression générale : odeur de friture, de renfermé, de tabac, de feu de cheminée, parfums féminins… J’ai retrouvé la photo d’une buvette pour routiers en Colombie, sans intérêt visuel car l’image ne révèle pas l’odeur du gaz d’échappement, cette pestilence à laquelle tous semblaient résignés. Avec l’arôme du café des matins heureux, le tabac demeure l’une de mes senteurs préférées de non-fumeur, en écho avec l’Amsterdamer doux dont mon grand-père bourrait sa pipe. La Gitane maïs exprime une personnalité plus insistante. Café et tabac, même chaleur liée à la torréfaction. Les tonneaux de chêne sont également brûlés à l’intérieur, d’où ce goût caramélisé-boisé qui masque le visage originel du vin et agace nombre d’œnologues. Les plaisirs tactiles se retrouvent aussi au bistrot : s’asseoir en conclusion d’une longue marche, s’accouder à une table solide, la fraîcheur ou la chaleur de la boisson dans la main et en bouche. Le vin est un liquide spécial, qui propose une expérience physique : ses tanins donnent au palais une impression matérielle, une rugosité plus ou moins fine.
Les cafés sont des microcosmes passionnants, indispensables à la vie sociale et culturelle. Comment expliquer leur raréfaction, de 400 000 en 1950 à 35 000 aujourd’hui en France, soit dix fois moins ? Au début du siècle, une localité de mille habitants en comptait une vingtaine. Désormais, dans les villages et les quartiers, la trace d’anciens commerces apparaît sous un crépi d’amnésie, entre les pancartes “à vendre”. Les villages sont propres, fleuris. Ils ont ravalé leurs façades en demeures particulières, en domiciles où l’on ne pénètre que si l’on est invité, fermés à double tour par des volets roulants électriques, gardés par des chiens esseulés qui se jettent sur le grillage en hurlant. L’espace public régresse, se privatise, les abords des villes se hérissent d’antennes de téléphonie mobile et de rails de sécurité en acier. Au chef-lieu du canton sous vidéoprotection, la zone commerciale qui prétend assurer toutes les fonctions de la consommation aménage une cafétéria-self-bar-PMU-jeux fermée dès 19 heures. Ce déclin des bars accompagne la disparition des commerces de proximité, épiceries et boucheries. Le mode de vie évolue : avant l’époque des autoroutes et des multinationales de la restauration qui monopolisent les clients, les routes étaient ponctuées d’auberges pour VRP, bars routiers et débits de boissons à la porte grande ouverte, tables à toile cirée et chaises prêtes pour accueillir le visiteur. Le Café du commerce n’est pas un vain mot : les artisans y trouvaient volontiers du travail, les marchands de bestiaux y concluaient leurs affaires – Tope là, cochon qui s’en dédit. “Payer rubis sur l’ongle” signifie qu’une goutte de vin coule en trinquant au commerce conclu.
Une calèche à cheval sur de mauvais chemins avance lentement et s’arrête souvent afin que l’animal s’abreuve et se repose, et ses maîtres pareillement. Le marcheur avance encore moins vite. Aujourd’hui, un plein d’essence suffit pour parcourir des centaines de kilomètres sur l’autoroute, ce non-lieu du voyage. Auto et bistrot se révèlent incompatibles car boire en conduisant provoque des accidents, car la grande distribution fondée sur le réseau routier a court-circuité les petits commerces. Les cafétérias se ressemblent, le lien avec les régions traversées s’y résume à quelques spécialités typiques fabriquées en usine, aux antipodes de l’esprit des bistrots. Sur les routes nationales, les buvettes et baraques à frites parfois aménagées dans des autobus de récupération affichaient une personnalité plus amusante.
Souvent, un établissement meurt lors du départ à la retraite de son tenancier qui ne trouve aucun successeur solvable pour les murs et le fonds de commerce. Avec la hausse de l’immobilier, vendre se révèle plus rentable que de louer. En centre-ville, les cafés succombent sous la concurrence des chaînes d’opticiens, banques, assurances et… agences immobilières. À l’inverse, des bars ferment, victimes de leur succès, car les voisins ont porté plainte pour nuisance sonore. Ils ne supportent pas les conversations entre fumeurs mis à la porte par la loi antitabac et un habitant acariâtre suffit pour réduire au silence un bar-concert. Ces raisons du déclin concernent l’évolution des modes de vie et du marché, d’autres relèvent de la réglementation. La loi interdit par exemple de danser dans les bars non équipés de systèmes de sécurité homologués ; éviter la panique en cas d’incendie part d’une initiative salutaire, mais ne confondons pas le bistrot du coin et une discothèque. La réglementation proscrit toute création dans une commune, à moins de racheter une licence IV existante. Rappelons que ce système fut créé par Pétain en 1941 durant l’Occupation pour mieux contrôler les débits de boissons, lieux d’échanges économiques, de colère collective et d’insoumission.
Le Code de la santé publique souhaite, à juste titre, limiter l’alcoolisme. Or les boissons dans les bars ont évolué vers des degrés moindres et il n’est plus nécessaire de préciser “café nature” pour signifier “sans calvados”. Les dialogues des Tontons flingueurs évoquent une époque lointaine et L’Assommoir relève de l’univers de Zola. Philippe Gajewski, géographe, affirme que le café joue même un rôle éducatif antidépendance : “Les débits de boissons connaissent peu de soucis d’alcoolisme. Lorsqu’il y a une réelle interaction entre les clients, le contrôle social fait que ces problèmes restent faibles.” Il cite des enquêtes selon lesquelles cette pathologie affecte moins de 5 % de la clientèle. À domicile, dans la rue ou les voitures, la jeune génération mélange alcools blancs et jus de fruits, sodas sucrés ou boissons énergisantes achetées au supermarché, radicales pour s’alcooliser vite et à bas prix. Ce phénomène d’ébriété aiguë et rapide nommé binge drinking révèle un besoin d’ivresse jusqu’au coma éthylique. L’interdiction de vendre des boissons fermentées dans les bistrots aux personnes de moins de 18 ans fut-elle judicieuse ? Les cafetiers encadrent les consommateurs sous leur responsabilité. Il est bon que les jeunes apprennent la qualité des bières et la diversité des vins dans un lieu sécurisé et avec une consommation limitée. Autre contrainte légale, la SACEM prélève une taxe pour la diffusion de musique ou d’émissions de télévision, en particulier sportives, et certains inspecteurs poursuivent de leur zèle les bars-concerts. La rémunération des artistes au chapeau flirte avec le travail au noir et l’URSSAF peut y trouver os à ronger. L’ensemble de ces règles, plus respectées en province qu’à Paris, pèse sur le coût des concerts et décourage les patrons déjà fort occupés.
Un café qui ferme, c’est un théâtre qui brûle. »
(p. 79-86)

Convivialité (p. 20-23)
Origine du terme (p. 27-31)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.