Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Neige et cendres :

« Faites 15 000 kilomètres depuis votre pays natal. Traversez onze fuseaux horaires et une chaîne de montagnes. Atteignez la base volcanologique Leningradskaïa, Kamtchatka, 1 600 mètres d’altitude, 55° 49’ de latitude nord, 160° 22’ de longitude est. Qu’y trouverez-vous ? Une lettre à vous destinée, un de vos lecteurs et l’amie d’un de vos amis… Voici battue en brèche la théorie des six degrés de séparation, selon laquelle chaque individu dans le monde n’est éloigné de tous les autres que par la médiation de six personnes. Pour fêter cette importante découverte sociodémographique, nous nous attablons devant le plat de spaghettis à la sauce tomate que la délégation névachaise en Extrême-Orient russe a cru bon de nous préparer sur-le-champ.
La rencontre de compatriotes en voyage engendre en général deux types de réactions diamétralement opposées : avouons que souvent elle agace et suscite une sensibilité exacerbée aux défauts d’autrui, comme si l’honneur national était en jeu dans chaque comportement individuel, comme si surtout, honteuse vanité, l’on était mortifié de ne pas être seul de son espèce à se trouver là. Combien de regards torves, combien de moues méprisantes s’échangent aux quatre coins du monde entre concitoyens ! Mais parfois au contraire, les circonstances, la nature du lieu et, bien sûr, la qualité des gens croisés donnent un agrément particulier à ces rencontres entre “pays”. Une petite patrie se reconstitue, fondée sur l’évidence de la langue partagée, la même géographie mentale, les souvenirs voisins, les bribes d’histoire commune. Un simple nom, “Névache”, et des images de chalets confortables et d’alpages fleuris se substituent brièvement aux modestes cabanes et au sol caillouteux de Leningradskaïa.
Après une nuit dans notre mansarde d’étudiants, nous partons faire l’ascension du Ploski Tolbatchik, par un temps de rêve qui dévoile entièrement le relief tabulaire du cratère de 4 kilomètres de diamètre, dans lequel la carte indique que se trouve un deuxième orifice plus petit, lui-même creusé d’un puits qui recèle un lac chaud. Des champs de bombes volcaniques jalonnent la montée. De toutes tailles et de toutes formes, elles miment tantôt un coquillage, tantôt un casque, plus souvent un crâne humain. Surface lisse, peau de pierre refroidie en plein vol, densité tellurique qui pèse dans la paume. “Regarde comme elles sont belles ! J’ai bien envie d’en rapporter quelques-unes. — Tu es folle, il n’y en a pas une de moins de 3 kilos ! On n’a pas assez de nourriture, et tu veux emporter des cailloux !” Deux morceaux de basalte, l’un oblong, en obus, l’autre rond comme une grenade, sont glissés en douce dans le sac à dos… Plus haut, nous marchons sur des pierres grenat pailletées d’incrustations dorées. Ni vu ni connu, quelques échantillons prennent dans une poche la place refusée à une plaque de chocolat.
Ces mille et un états de la matière dépendent essentiellement du degré de silice qu’elle contient : s’il est bas, la lave est plus fluide, et donne en se figeant un basalte mat du gris clair à l’anthracite ; moyen, et la lave, visqueuse, se solidifie en roches acides, andésites ou dacites, piquetées de particules brillantes ; est-il élevé, et c’est la noirceur brillante de l’obsidienne ou la blanche perlite. La proportion d’eau contenue dans le magma détermine la densité des roches : lorsqu’il parvient hors de la cheminée, la pression diminue, l’eau se transforme en vapeur et laisse à terre la légère pierre ponce ; s’il est saturé d’eau, la vapeur l’éparpille en cendre, en sable ou en lapilli. Les yeux rivés à terre, c’est toute la montagne qu’on a envie de mettre dans son sac ; la raison commande de ne choisir que les joyaux les mieux ciselés de l’orfèvrerie volcanique ; ainsi un caillou juste ramassé est-il jeté pour un autre plus joli, qui lui-même est détrôné trois pas plus loin par un nouveau spécimen.
Nous avançons au rythme de ces transactions incessantes, c’est-à-dire à une allure de tortue, mais bientôt la beauté d’un glacier suspendu nous fait lever le nez du sol. Craquelé, noir de cendre, il se tient au-dessus de la pente comme une vague qui hésiterait à déferler. Il faut le contourner pour accéder au bord du cratère, une cavité de 150 mètres de profondeur aux parois raides, au fond de laquelle le lac s’est tari, bu au cours des années par le siphon rocheux. Le spectacle est grandiose et sinistre : ourlé au nord d’un liseré de neige de 2 mètres de haut, l’abîme grince et chuinte, parcouru çà et là de boules de poussière qui signalent la chute d’un pan de la montagne. Un corbeau passe, et ses ailes obscures se détachent à peine sur le noir du volcan. »
(p. 182-184)

Dans la queue du typhon (p. 76-79)
En pays évène (p. 247-251)
Extrait court
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