Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Façons de voir :

« La question de l’interférence entre l’humain et l’oiseau touche profondément l’ornithologue, tant elle est omniprésente dans sa pratique du terrain. Elle va même plus loin, dans une introspection philosophique qui le fait réfléchir sur la nature du regard qu’il porte sur ses observations. Quelles conséquences doit-il en tirer ? À la fin des années 2000, une amatrice de limicoles reprochait ainsi aux chercheurs scientifiques d’apposer aux gravelots des bagues colorées afin de les reconnaître individuellement dans le cadre d’études sur la migration : “En cherchant à la comprendre, vous brisez la poésie de la nature.” L’argument paraît ingénu mais traduit bien l’idée, répandue chez une partie des naturalistes amateurs, que la rationalité scientifique enferme l’oiseau dans un carcan inutile. Alors que je m’interrogeais un jour sur l’origine d’un bécasseau tacheté – un modeste échassier qui s’arrête chaque automne en petit nombre sur le littoral atlantique –, mon voisin d’observatoire me fit une remarque à peine différente : “Nous ne sommes que d’humbles observateurs, le comportement des oiseaux nous dépasse à ce point que nous devons nous contenter de décrire sans chercher à comprendre.” Il y a, avec cette réflexion qui nous entraîna dans un débat insoluble, une forme de rejet de la recherche scientifique qui sonne comme un renoncement assumé. Cette attitude explique peut-être pourquoi nombre d’observateurs de terrain préfèrent à « ornithologue » (celui qui étudie les oiseaux) les appellations anglaises, non traduites en français, de birdwatcher (celui qui observe les oiseaux) ou même de birder. To bird, verbe anglais qui décrit l’action d’aller observer des oiseaux dans la nature, concrétise ainsi la pratique de l’observation des oiseaux comme une activité autosuffisante, affranchie de la nécessité d’une justification savante.
L’opposition entre contemplation et science est toutefois chimérique. Tant par ses réussites que ses échecs, qui sont souvent mêlés, la science alimente l’émerveillement que l’observateur ressent sur le terrain. Même les plus contemplatifs des naturalistes se passionnent pour des travaux de recherche dont ils ne perçoivent pas nécessairement la portée théorique – qui leur importe d’ailleurs peu. Ainsi, l’observation d’un jeune traquet motteux en halte migratoire prend une dimension nouvelle lorsque, rentré chez soi, on découvre dans une revue le trajet fabuleux d’un de ses congénères, suivi par satellite de son lieu de naissance nord-américain à l’Afrique équatoriale, en passant par la pointe sud du Groenland. La science concrétise aussi des changements que l’observateur ne peut percevoir que diffusément sur le terrain : l’avancée des dates de passage migratoire avec le changement climatique, les tendances à l’augmentation ou la diminution des espèces communes qui s’opèrent sur des décennies, la sédentarisation des fauvettes à tête noire anglaises favorisée par les mangeoires hivernales. Ces découvertes fournissent de nouveaux éléments d’interprétation au birdwatcher qui les combine à son expérience de terrain pour construire sa vision de l’oiseau entre imaginaire personnel, culture populaire et prise de recul scientifique. Et puis, que seraient les guides d’identification sans l’apport de la science, nécessaire à délimiter les espèces et définir leur classification systématique ? À l’inverse, le baguage des oiseaux, si prisé des birdwatchers ne serait-ce que pour le plaisir de tenir un instant dans sa main un animal sauvage que l’on observe toujours de trop loin, différerait peu de l’esprit et des techniques du braconnage s’il n’était motivé par des programmes de recherche scientifique aux objectifs bien définis.
Le débat entre contemplation et science tient moins à des arguments rationnels qu’à des priorités personnelles : la motivation qui conduit à faire de l’observation des oiseaux un enjeu en soi est distincte de l’intérêt, éventuellement tout aussi passionnel, que le chercheur porte à l’étude scientifique de l’avifaune. L’ornithologue dévoué durant quarante ans à des travaux sur l’évolution, le comportement ou l’écologie d’une espèce, voire des oiseaux dans leur ensemble, ne se métamorphosera peut-être jamais en birdwatcher : on peut étudier la mésange bleue ou le manchot royal une vie entière sans jamais ressentir envers l’oiseau plus qu’un attachement responsable mais purement matériel. Cet émerveillement, par lequel l’oiseau passe d’un élément de décor ou d’un outil de travail à un sujet structurant – presque un art de vivre –, nécessite un point de bascule dont la survenue est souvent fortuite. »
(p. 55-59)

Un compagnonnnage fécond (p. 21-24)
Communauté de destin (p. 77-80)
Extrait court
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