Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Longue promenade contée :

« Mes enfants, Madeleine et Pierre, qui sont nés immuns de toute passion, ont pourtant marché chaque jour des distances considérables pour leurs petites jambes. Quand Pierre a eu 6 ans, nous sommes partis. Nous avons attendu comme dans Hansel et Gretel que son mollet s’arrondisse et que ses jambons se fortifient suffisamment pour parcourir une vingtaine de kilomètres par jour. L’adulte oublie ce qu’une telle distance représente pour des loupiots de 8 et 6 ans. À l’âge de Madeleine, il m’arrivait d’aller tout seul à l’école de La Hulpe, dans la banlieue bruxelloise. Il fallait marcher sur le sable et les cailloux d’une rue à peine damée, passer sous un tunnel de chemin de fer, fouler l’accotement routier, longer un étang puis toute l’étendue d’une usine à papier ; arrivé devant l’imposante statue de Camille Lemonnier, mes petites jambes remontaient la longue pente pavée de la rue de l’Argentine jusqu’aux portes de fer de l’école Saint-Léon. Une grande aventure en culottes courtes pimentée de frousses lorsqu’une voiture imaginaire s’arrêtait à ma hauteur pour me kidnapper, je veux dire : pour me demander si je ne voulais pas monter. Je me souviens aussi de mes doigts douloureux à cause du froid et de mon apaisement durant mes séjours dans la chaufferie une fois revenu. Aujourd’hui, j’évalue cette grande traversée à sa juste mesure : un kilomètre et demi ! Huit heures sur leurs jambes représentent beaucoup plus pour les enfants que pour nous. Mon propos ne vise pas la résistance physique, mais la durée, qui est vécue différemment. À 6 ans, chaque année vaut une éternité. Souvenons-nous de notre entrée à l’école primaire et de l’impression que nous faisaient les grands de sixième année ; cinq classes nous séparaient ! cinq ans avant d’être grand ! Vingt kilomètres équivalent donc pour deux enfants de 6 et 8 ans, certes bien entraînés par les navettes scolaires, à une sacrée journée de sport.
Ajoutez à cela qu’ils ne manifestent aucune aspiration spirituelle ni ne chaussent les crampons d’une quête existentielle. Ils n’ont pas conscience d’une dure loi de la nécessité comme l’exode rural ou la fuite d’un régime politique. La cueillette des simples ne fait pas partie de leurs jeux préférés ; les paysages ne sont ni beaux ni laids, ils ne forment pas un bocage, une zone humide à laîches ou un écosystème particulier, ne matérialisent pas une péripétie de l’orogenèse, ne leur rappellent aucune notion de géomorphologie. Ils ne savent rien de la disparition de la biodiversité et ne s’étonnent pas de la nudité des monocultures de la Champagne. Quand ils sentent le parfum camphré des eucalyptus, ils ne récriminent pas contre les plantes invasives. Pendant que le randonneur s’extasie devant les bocages préservés ou replantés, Pierre découvre l’objet hétéroclite qui manquait à sa collection, et devant le coucher de soleil qui en fait s’écrier un autre “Voilà la vraie vérité de la vie !”, sa sœur barbote dans la flaque qui va donner une nouvelle teinture à ses bottines. Ils ne théâtralisent pas la nature, n’y voient pas le lieu d’un combat entre des forces et des éléments, et le cycle du carbone pourrait n’être à leurs yeux qu’un vélo de cirque ultraléger. Les mots “quête”, “artificiel”, “existentiel”, “spirituel” leur sont étrangers, et je n’ai pas cherché durant ces trois ans à déranger leur quiétude cérébrale ni voulu froisser la belle page blanche de leur imagination. Le sport, ils le pratiquent sans le savoir à travers le mot “transport”. Ils ne savent pas plus que nous pourquoi nous sommes partis, ce que nous cherchons ni où nous allons. Notre caravane ressemble à une ligne de points d’interrogation, pareils à ces graminées tout autour de nous courbées par le vent des steppes. Pourtant, même au plus chaud de la dure traversée du Morvan et malgré la lassitude des pistes interminables de Castille, je n’ai pas le souvenir de mines boudeuses, d’airs vagues ou de profonds soupirs. Ils auraient pu refuser de se lever, se laisser tirer par la main ou pleurer et geindre de manière à susciter des interrogations et l’intervention des Protecteurs de l’Enfance®. Des genoux écorchés, des grippes, des bosses, oui, mais de l’ennui, jamais. On ne marche pas en boucle. On se lève chaque jour pour vivre de l’inédit. Dans le voyage lâcher-tout, les enfants se délectent du suspens qui entoure chaque journée : Où va-t-on atterrir ce soir ? Dormira-t-on sous la tente ? sous un toit, sur un banc ? Qui va-t-on rencontrer ? une gentille dame qui nous attendra sur le bord de la route avec une botte de carottes, comme hier en Aveyron ? un maire comme celui d’avant-hier qui a surpris papa tout nu couvert de savon dans les phares de sa voiture ? Et les enfants du prochain village, de la prochaine ferme, comment seront-ils ? Et pour ce qui est de la maltraitance, lorsque arrivés en haut de la côte, ils devaient nous attendre, c’étaient les parents qui étaient traités de “nouilles”… Les compagnons de jeu n’ont pas manqué. À commencer par Dame Nature qui donne d’emblée aux petits Tarzan les trois choses qu’ils apprécient le plus : l’eau, le feu et le vivant. L’eau des baignades naturelles, le feu du bivouac et le vivant zoologique plutôt que botanique, un peu trop lent à se mouvoir au goût de leurs prunelles impatientes. La souplesse du noisetier fait de beaux arcs, un carton de chaussures devient un terrarium provisoire et les rivières excitent leurs rires par leurs éclaboussures. Le reste du temps, Madeleine chante seule à l’arrière, Pierre écoute les histoires de sa maman ou ils se jouent des saynètes faites d’anecdotes vécues en chemin.
Les histoires, ils en entendent depuis toujours. Tout n’est-il pas narration, dans le fond ? Depuis le premier “Il était une fois…” de Shéhérazade jusqu’à la grande histoire sans cesse remaniée. Notre connaissance de nous-mêmes procède d’un empilement de monologues intérieurs ; la science, qui fait profession d’objectivité, n’est qu’une réactualisation de la mythologie, une explication des origines de l’univers en langage mathématique. À propos, comment calcule-t-on la hauteur d’une étoile ? et d’un arbre ? Et les planètes, pourquoi tournent-elles ? Et c’est quoi la révolution ? Un physicien de rencontre, posant la roue d’un vélo sur son doigt, leur montre qu’elle n’est en équilibre que lorsqu’elle tourne. Une guide de montagne valaisanne leur désigne les sores des fougères ou la nymphe d’une coccinelle. Puis d’eux-mêmes, nos Laurel et Hardy forment une école mutuelle et se racontent mille et une histoires de leur invention. Le rythme régulier des pas tend et détend le ressort de l’imagination, les branches leur font signe de rentrer, les feuilles se recoiffent en vitesse et ils trouvent un champignon nouveau-né entre les racines d’un châtaignier. Toujours, leurs histoires colportaient de la poussière du chemin : “Moi j’étais le pèlerin et toi tu habitais au bord du chemin”, dit l’un ; “Non, moi, je suis le berger et je veux acheter ton âne”, dit l’autre. Le vagabond de Cahors qui avait servi dans la Légion, l’orage de grêle qui nous dispersa en Auvergne ou l’apprenti qui eut le bras arraché dans le pétrin leur servaient de fonds de légende. La grange dans laquelle ils jouaient le matin même où les arbres sous lesquels ils avaient dormi prêtaient leur silhouette ou leur charpente à toutes ces plaisantes inventions.
Parents et enfants, nous nous croisions tous les jours sur la route du devenir ; les uns marchant vers le sérieux de l’enfance, les autres jouant à la marelle et passant d’une vérité à une autre. Les humains atteignent leur maturité lorsqu’ils sont capables d’agir avec le même sérieux que quand ils jouaient enfants. Tout ce qu’ils voudront savoir, ils l’apprendront par des histoires. Point n’est besoin de les motiver, le goût d’apprendre est naturel. Tout ce que nous avons à faire, c’est raconter. Voilà l’école : une longue promenade contée. »
(p. 23-29)

L’aventure, oui ! Perdre ses repères, non ! (p. 17-20)
Une vie de rêve sans guère de temps libre (p. 72-77)
Extrait court
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