Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Les plantations de Pu’erh :

« “Veux-tu vivre heureux ? Voyage avec deux sacs, l’un pour donner, l’autre pour recevoir”, conseille Johann Wolfgang von Goethe. Mais comment faire pour ne pas alourdir sa charge tout en honorant ce précepte ? Nous avons délibérément choisi de ne pas ajouter à nos affaires de présents volumineux ou lourds. Avant le départ, nous avons emporté plusieurs photos de nous et de nos familles, dans des paysages typiques de France : tour Eiffel, jardins à la française du château de Versailles, vallée enneigée des Alpes font partie des souvenirs que nous laissons dans les foyers où nous sommes invités. Ces portraits sont un très bon moyen de nous présenter simplement, avec nos parents, alors même que la famille est encore un des piliers de la vie rurale des zones traversées. En retour, une des grandes fiertés de nos hôtes est de nous montrer leurs photos de mariage, qui sont en général les seules qu’ils possèdent. Bien souvent, la rencontre se solde par un échange de clichés. Nous avons essayé pendant de longues semaines d’offrir un peu de nourriture à nos hôtes, dans un esprit de partage. Toutes les techniques y sont passées : au moment du départ, à la préparation du dîner, lors du petit-déjeuner, en guise d’apéritif… Au début, nous proposions des produits manufacturés de différentes gammes. Devant le refus systématique, nous avons tenté des matières premières ou à peine transformées comme des fruits secs et des fruits à coque, ou tout ce qui peut s’acheter sur un marché et qui n’est pas trop lourd. À chaque fois, nous essuyons un refus net et sans appel. Nous nous sommes trompés à rester trop longtemps dans nos schémas culturels français. Est-ce mettre en défaut la qualité de l’hospitalité que d’offrir de la nourriture ? Ou laisser penser que le foyer qui nous reçoit est trop pauvre pour nous accueillir dignement ? Ou simplement est-il considéré qu’en tant que marcheurs nous avons besoin de notre pitance et que ce serait nous ôter le pain de la bouche que de l’accepter ? La raison est sûrement un mélange de tout cela, mais ce qui est sûr est que l’hospitalité n’est pas prise à la légère au Yunnan.
En plus des photos que nous remettons quand la discussion s’oriente sur la cellule familiale ou la France, nous décidons de tirer parti du fait que ce sont principalement les femmes qui nous invitent. C’est donc parfois un petit bijou, que Julie porte pour l’occasion, que nous avons le plaisir de laisser pour témoigner de notre reconnaissance. Enfin, remarquant que peu de couples disposent de portraits d’eux-mêmes ou de leur famille et que cette possession est source de fierté, nous tâchons de réunir toute la maisonnée pour une séance photo. Certains prennent la chose très au sérieux et, le regard fixe, n’esquissent pas même un sourire. D’autres, au contraire, dévoilent leur denture en une simagrée complice. S’ensuit alors l’opération délicate qui consiste à récupérer l’adresse postale du domicile. Puisque nous sommes incapables d’écrire proprement le mandarin, nos hôtes s’en chargent. Tous ces sinogrammes griffonnés à la va-vite ou dessinés avec application sur nos carnets constituent de magnifiques souvenirs au retour, mais aussi une flopée de signes impossibles à recopier lorsque, les photos imprimées et glissées dans l’enveloppe, sonne l’heure de l’envoi. Nous faisons alors appel à l’insoupçonnable gentillesse des guichetières de China Post pour qu’elles écrivent elles-mêmes la destination sur le courrier. Il est de coutume de critiquer l’amabilité des guichetiers français, mais après ces expériences, nous sommes en droit de croire que c’est la nature même du métier qui rend les gens si peu disposés au service ! Malgré tout, nous trouvons toujours une âme charitable.
Nous avons pris le parti de ne jamais joindre aux tirages notre adresse. Ainsi se clôt la relation qui est par essence éphémère. Cette décision nous a valu plusieurs longs débats. Est-il égoïste de ne pas donner la possibilité à nos hôtes de nous écrire en retour ? En prenant cette décision de manière unilatérale, nous sommes les seuls maîtres de la suite de la relation, ce qui est contraire à la notion d’échange mutuel qui nous tient à cœur. Nous offrons, mais empêchons le don en retour. N’est-ce pas laisser l’autre redevable et lui ôter tout moyen de payer sa dette ?
Nous décidons que non. Ces présents n’ont d’autre vocation que d’exprimer une fois de plus notre gratitude et d’apporter dans les foyers quelques souvenirs tangibles des bons moments passés ensemble. C’est nous qui sommes redevables de leur hospitalité. À la limite, pouvons-nous considérer que l’équilibre est déjà atteint : l’effort que nous avons fait pour atteindre leur cahute excentrée est compensé par leur invitation. Et enfin, nos hôtes ne demandent pas notre propre adresse quand nous sollicitons la leur. Plus nous avançons sur la route et plus il nous semble évident que la brièveté de la relation est consentie dès le premier regard.
Nous avons parfois l’impression que notre présence est annoncée bien avant notre arrivée dans un village. Pour rejoindre Jinggu, nous égrenons lentement les kilomètres deux jours durant sur la route nationale G213, une chaussée bitumée empruntée par des camions débordant de charbon et de pierres, des motos surchargées et des minibus bondés. Comme cette voie est relativement fréquentée, nous ne passons pas inaperçus. Et c’est avec surprise que nous entendons des épiciers nous féliciter pour avoir rejoint leur échoppe à pied depuis Pu’erh ! Comment le savent-ils ? C’est sans aucun doute les camionneurs qui nous doublent qui sont bavards ! Notre “exploit” se propage vite, et nous sommes accueillis à bras ouverts. Impossible alors de payer les repas pris sur le bord de la route. »
(p. 47-49)

La cueillette du thé (p. 189-218)
Au contact des moines (p. 254-257)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.