Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Au Yémen, avec Malraux et la reine de Saba :

« On trouve autant de types de lecteurs que de voyageurs – et de voyages. Certains préparent le leur comme une conférence en lisant rapports d’expédition, traités de géographie et livres d’histoire ; d’autres plongent dans l’épaisseur d’une culture, se gavent de romans et de poésie locale ; d’autres encore lisent et relisent différents guides plus ou moins culturels, regardent les horaires des bus et des trains pour savoir comment rejoindre Samarcande et Boukhara le plus rapidement possible.
Quel que soit l’ouvrage choisi, il arrive qu’il donne une image totalement décalée de la réalité qu’il évoque ou qu’il décrit. Je me souviens d’avoir lu, quelque temps avant un départ pour le Yémen, La Reine de Saba, Une aventure géographique d’André Malraux. Mareb’, le nom actuel de cet hypothétique royaume perdu à l’entrée de l’Hadramaout, devint pour moi l’une de ces cités mythiques de l’Antiquité où Indiana Jones coudoie Lawrence d’Arabie, et il ne me fallut plus qu’une sourate du Coran pour sombrer dans un rêve exotico-mystique propre à exciter mon adolescence d’alors : “J’ai trouvé qu’une femme est leur reine, que de toutes choses elle a été comblée et qu’elle a un trône magnifique.” Je me rappelle précisément avoir imaginé ce trône et avoir reconstruit autour de lui une sorte de palais mésopotamien teinté d’Égypte et de Grèce, une de ces bouillies orientalistes qu’on exposait au XIXe siècle pour le plaisir de Parisiens charmés par Loti et le Sâr Péladan.
L’ambiance à Sana’a, quelques mois après les attentats du 11 septembre, n’était pas spécialement reposante. Les check-points n’épargnaient personne et une autorisation du ministère de la Défense était nécessaire pour sortir de la capitale – autorisation qui serait restée lettre morte sans une escorte militaire dûment armée. Motivé malgré tout par Malraux, je décidai d’aller voir ce fameux royaume, trouvai un chauffeur, une escorte et, quelques heures plus tard, après une vingtaine de contrôles et une plongée de plus en plus aride vers l’est, j’arrivai aux portes de Mareb’. Sur place, la ville avait une tout autre allure : deux ou trois colonnes poussiéreuses cernées de barbelés faisaient office de royaume, et à peine devinait-on sous le sable certains renflements prometteurs. Il aurait fallu une forte imagination pour retrouver derrière ce paysage en chantier le visage d’une de ces femmes qui, de Salomé à Bethsabée, peuplent l’imaginaire masculin, mais l’incessant rappel à l’ordre du cliquetis des armes de mon escorte et la chaleur plombante de midi ne m’y aidaient guère.
Depuis, je préfère éviter ces lectures déconcertantes, un peu plates ou trop précises qui, comme les cartes des guides touristiques, sans courbes de niveau ni mystères, ont tendance à fausser la vue comme une lentille mal réglée. Le temps qui précède chaque voyage devient plutôt un temps de silence et de vide où il convient d’anticiper les inévitables déceptions, de faire mourir chaque pays à mon imagination, et je ne m’autorise plus que les seuls livres où la géographie a subi un travail de reconstruction. À ce titre, Bains de mer de Morand, avec ses pages sur Lisbonne, Cascais et Estoril, ne m’a pas empêché d’y être à mon tour sans que sa présence me gêne. Mais après l’avoir lu, j’ai pour ainsi dire “pensé Morand” pendant quelque temps, et c’est une pente dont il faut se méfier, bien qu’il y ait pire modèle ! Les mots des autres, leur voix, ont sur leurs lecteurs, qu’ils écrivent ou pas, un pouvoir bien plus puissant qu’il n’y paraît d’abord. Par un étrange phénomène de pollinisation, Proust allonge et essouffle les phrases ; avec Rilke, l’œil devient sensible aux plus fragiles mouvements de l’âme ; Hemingway, lui, rend bref et elliptique, presque sanguin ; quant à Thomas Mann, il fait voir comme au microscope les plus infimes replis du terrain. Ce n’est pas seulement la syntaxe qui se modifie, le mode même d’appréhension du monde change grâce aux lectures en cours, si bien qu’il convient de choisir avec soin les livres que l’on emporte. À la manière d’un colorant, ceux-ci viennent discrètement, mais sans retour possible, teinter les voyages qu’ils accompagnent, leur donnant une nuance plus subtile, une touche de secondarité qui, comme une note de fond dans un parfum, vient fixer les sensations à la surface de la mémoire. Comme des aiguillages sur un immense réseau ferré où les perspectives seraient voilées par d’incessants tournants, ils nous orientent et nous guident, selon un principe d’aimantation capable de nous mettre sur la voie ou de nous dérouter. »
(p. 15-19)

Une lecture en route pour Kashgar (p. 45-49)
Le monde pour théâtre (p. 60-63)
Extrait court
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