« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • Œuvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
Lettre au chêne :

« M’arrêter dans une clairière, poser mon équipage entre deux souches moussues, déplier l’attirail du bivouac, m’asseoir et prendre le temps d’écouter votre chant. Fougères et mousses en abondance me feront ce soir un matelas presque confortable ; je m’adosserai tout à l’heure contre votre écorce de pierre, y appuierai ma tête et sortirai mon carnet. Pour l’instant, d’urgence, m’allonger. Le haut soleil de juin clignote les houppiers, et réchauffe la vapeur des fossés et les coussins de feuilles. Le corps s’apaise, oublie les contractures.
Je vais coucher ce soir non pas en forêt, mais avec la forêt, car je suis en amour avec elle. Et mon être crie peu à peu de désir végétal, d’envie de sentir semences et sèves mêlées. Marcher ici nu, animal, ignorant la morsure des écorces mortes, me vautrer dans l’humus gras qui lentement se décompose et fait la vie, hurler comme en transe devant l’autel, vous appeler, vous les feuilles, les fougères et les mousses, à accepter l’offrande de mon corps épuisé par tant de pas inutiles. La fatigue sans doute. Pour l’instant, tant qu’il fait un peu jour, il faut écrire, tenter de capter encore un peu de ces lumières. Écrire, bien sûr, encore. Se nourrir du bon pain des mots.
Et s’allonger en paix comme après l’amour, écouter les oiseaux éteindre le jour. Rêver.
Chêne des rois dans la nuit des armadas égarées, jeux de contre-quilles et de hauts bastingages, vous m’emportez dans votre voyage immobile, et je voguerai grâce à vous vers Yanaon et les Océanides. Chêne des Carnutes et des anciens sorciers, je volerai au-dessus de votre canopée, quêtant le rare gui, celui qui porte le bonheur et trappe les oiseaux. Chêne de Sherwood, de Robin et des livres d’enfant, j’irai me cacher au-dedans de l’écorce, et guetterai les fées et les lutins avant qu’ils ne se dissolvent dans la nuit. Rêver encore.
Je suis dans le domaine d’Andaluve et je suis un vilain, gardien des pourceaux dans les forêts du domaine. Les bêtes grognent sous les halliers et labourent la clairière. Elles fouillent la fange noire en quête de vos fruits et sourient, satisfaites. Depuis ce matin, monsieur le vicomte a donné les ordres. Certes, il nous faut couper le bois, le fendre et le ranger, mais en échange, grâce à Dieu, nous avons le droit de glandée ! Le droit de glandée. Comme quoi ces arbres sont des bois de justice. Heureuse époque !
Je ferai de vos cupules des pipes minuscules, des animaux pansus aux pattes de déesse, des bateaux à trois mâts qui ne vogueront pas. Je creuserai vos fruits en masques de démons, par des pratiques sorcières dont on ne doit pas parler, puis les cacherai, transi, apeuré, sous la couche de Guillemette. Guillemette, ma chère, et qui ne le sait pas, que j’emmènerai un jour bien loin d’Andaluve, en voguant vers l’Acadie que l’on dit dans les livres. Oui, je le sens, il fait humide sur le pont. Et je me réveille hélas, perclus et désappointé, dans la froidure de la nuit. Vos noires cimes, là-haut sous la lune hâve, font des cartes du diable et se moquent de moi, le marin chiffonné. »
(p. 46-48)

Lettre au ginkgo (p. 65-68)
Lettre à l’olivier (p. 103-106)
Extrait court
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