Cythère – mer Égée
Le berceau d’Aphrodite
Un bosquet d’arbres, le buste de la déesse Aphrodite, des couples à la sensualité voilée, un horizon mystérieux. Les fluctuations du sentiment amoureux rendues par le paysage brumeux de l’arrière-plan. Dans son chef-d’œuvre exposé au Louvre, « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » (1717), Antoine Watteau, peintre des fêtes galantes, nous invite à un voyage métaphorique. Île grecque située au sud-est du Péloponnèse, Cythère est liée depuis l’Antiquité au mythe d’Aphrodite. La naissance de la déesse, décrite par Hésiode comme l’incarnation immortelle de la féminité, est attribuée à la chute dans la mer du membre viril déchiqueté d’Ouranos, blessé par son fils Kronos. De l’écume (aphros en grec) qui se forma sur les flots surgit dans toute sa beauté Aphrodite. Elle aborda à Cythère avant de s’établir à Chypre. Hérodote mentionne la présence dans l’île d’un important sanctuaire dédié à la déesse.
Île de la grâce et de la beauté, elle devient dans l’imaginaire occidental une destination de rêve, utopique, pour les amoureux. Elle inspire peintres et poètes mais déçoit parfois le visiteur, tel le comte de Caylus, qui ironise en 1716, dans son Voyage à Constantinople : « On admire en la voyant les miracles de la poésie et les effets de la prévention, car elle ne consiste qu’en un rocher pelé ».
Quoi qu’il en soit, des générations entières en quête d’évasion et du paradis perdu en ont rêvé. Ce rêve se réalise toutefois dans des mers lointaines. En 1768 en effet, Louis-Antoine de Boungainville, homme des Lumières, accoste à Tahiti qu’il baptise la Nouvelle-Cythère. Le récit de son tour du monde à bord de La Boudeuse séduit les Français. Le mythe de Tahiti, temple de la sensualité et paradis exotique, est né.
Si l’éloignement extrême et les paysages de rêve du nouveau royaume d’Aphrodite en font une destination exceptionnelle, l’image romantique et mystérieuse de l’antique Cythère persiste. Au XIXe siècle, l’univers symbolique peint par Watteau inspire Baudelaire (« Un voyage à Cythère ») et Verlaine (« Cythère » et « L’amour par terre »). À l’orée du XXIe siècle, le voyageur en quête d’authenticité et de solitude ne peut que tomber sous le charme du « ciel si beau » et du paysage insulaire unique, façonné par les vents de la mer et constellé de chapelles, de monastères et de vestiges d’un passé tumultueux. Car l’histoire n’a pas épargné Cythère ou Cérigo, en grec moderne Kythira. Située au large du cap Malée, entre la mer Égée et la mer Ionienne, elle a connu la prospérité, les pillages, l’esclavage, l’abandon. Byzantins, Vénitiens, Turcs, Français et Britanniques s’y sont succédé ou croisés. Les influences subies, notamment celle de Venise, ont forgé son originalité.
En 1864, Cythère et les autres îles Ioniennes, placées sous protectorat britannique depuis 1814, sont rattachées à la Grèce, elle-même indépendante depuis trente ans. Au XXe siècle, le rêve des Cythéréens se tourne vers l’Australie. À la recherche d’un monde meilleur, des milliers d’habitants embarquent pour la lointaine île-continent, abandonnant des villages entiers.
Épargnée par les flots de touristes qui envahissent la Grèce, l’île d’Aphrodite invite à la contemplation. La magie des lieux, celle que saint Jean au Ier siècle de notre ère et saint Théodore de Cythère au Xe siècle ont appréciée, semble éternelle. À l’image des immortelles jaunes qui poussent sur ses montagnes pourvu qu’elles aient du soleil et voient la mer.
Suggestions de visite :
• Kythira ou Chora : chef-lieu de l’île, cette ville est un modèle d’architecture de défense vénitienne. Bâtie sur une hauteur, elle comporte des maisons des périodes vénitiennes et britanniques à découvrir au détour de ses ruelles. Son kastro vénitien (de 1207) domine les deux baies jumelles de Kapsali et offre une vue spectaculaire sur la mer de Crète. À l’intérieur subsiste une église orthodoxe au milieu de bâtiments en ruine.
• Potamos : en toutes saisons, on s’y retrouve le dimanche matin pour le marché typique de la plus grande bourgade de l’île. On y achète toutes les spécialités dont le fameux miel.
• Paléochora : la capitale médiévale Agios Dimitrios, aujourd’hui Paléochora, a été dévastée par les pirates de Barberousse en l’an 1537. Des milliers d’habitants furent capturés ou massacrés. Invisible de la mer, la ville fantôme se dresse sur un site autrefois riche et fertile.
• Mylopotamos : c’est l’un des plus beaux villages médiévaux de l’île, sur un site verdoyant où s’épuise la cascade de Fonissa. Tout proche, le lion de Venise veille encore sur les vestiges de la ville de Kato Chora.
• Musée archéologique : situé à la sortie de Chora, il expose une collection de pièces de monnaie, de vases minoens, de poteries mycéniennes et d’objets de la période vénitienne.
• Musée d’art byzantin et post-byzantin : installé dans l’église de l’Ascension à Kato Livadi, il abrite peintures murales, icônes et mosaïques.
Par Catherine Faudemay
En savoir davantage sur : Catherine Faudemay
Un bosquet d’arbres, le buste de la déesse Aphrodite, des couples à la sensualité voilée, un horizon mystérieux. Les fluctuations du sentiment amoureux rendues par le paysage brumeux de l’arrière-plan. Dans son chef-d’œuvre exposé au Louvre, « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » (1717), Antoine Watteau, peintre des fêtes galantes, nous invite à un voyage métaphorique. Île grecque située au sud-est du Péloponnèse, Cythère est liée depuis l’Antiquité au mythe d’Aphrodite. La naissance de la déesse, décrite par Hésiode comme l’incarnation immortelle de la féminité, est attribuée à la chute dans la mer du membre viril déchiqueté d’Ouranos, blessé par son fils Kronos. De l’écume (aphros en grec) qui se forma sur les flots surgit dans toute sa beauté Aphrodite. Elle aborda à Cythère avant de s’établir à Chypre. Hérodote mentionne la présence dans l’île d’un important sanctuaire dédié à la déesse.
Île de la grâce et de la beauté, elle devient dans l’imaginaire occidental une destination de rêve, utopique, pour les amoureux. Elle inspire peintres et poètes mais déçoit parfois le visiteur, tel le comte de Caylus, qui ironise en 1716, dans son Voyage à Constantinople : « On admire en la voyant les miracles de la poésie et les effets de la prévention, car elle ne consiste qu’en un rocher pelé ».
Quoi qu’il en soit, des générations entières en quête d’évasion et du paradis perdu en ont rêvé. Ce rêve se réalise toutefois dans des mers lointaines. En 1768 en effet, Louis-Antoine de Boungainville, homme des Lumières, accoste à Tahiti qu’il baptise la Nouvelle-Cythère. Le récit de son tour du monde à bord de La Boudeuse séduit les Français. Le mythe de Tahiti, temple de la sensualité et paradis exotique, est né.
Si l’éloignement extrême et les paysages de rêve du nouveau royaume d’Aphrodite en font une destination exceptionnelle, l’image romantique et mystérieuse de l’antique Cythère persiste. Au XIXe siècle, l’univers symbolique peint par Watteau inspire Baudelaire (« Un voyage à Cythère ») et Verlaine (« Cythère » et « L’amour par terre »). À l’orée du XXIe siècle, le voyageur en quête d’authenticité et de solitude ne peut que tomber sous le charme du « ciel si beau » et du paysage insulaire unique, façonné par les vents de la mer et constellé de chapelles, de monastères et de vestiges d’un passé tumultueux. Car l’histoire n’a pas épargné Cythère ou Cérigo, en grec moderne Kythira. Située au large du cap Malée, entre la mer Égée et la mer Ionienne, elle a connu la prospérité, les pillages, l’esclavage, l’abandon. Byzantins, Vénitiens, Turcs, Français et Britanniques s’y sont succédé ou croisés. Les influences subies, notamment celle de Venise, ont forgé son originalité.
En 1864, Cythère et les autres îles Ioniennes, placées sous protectorat britannique depuis 1814, sont rattachées à la Grèce, elle-même indépendante depuis trente ans. Au XXe siècle, le rêve des Cythéréens se tourne vers l’Australie. À la recherche d’un monde meilleur, des milliers d’habitants embarquent pour la lointaine île-continent, abandonnant des villages entiers.
Épargnée par les flots de touristes qui envahissent la Grèce, l’île d’Aphrodite invite à la contemplation. La magie des lieux, celle que saint Jean au Ier siècle de notre ère et saint Théodore de Cythère au Xe siècle ont appréciée, semble éternelle. À l’image des immortelles jaunes qui poussent sur ses montagnes pourvu qu’elles aient du soleil et voient la mer.
Suggestions de visite :
• Kythira ou Chora : chef-lieu de l’île, cette ville est un modèle d’architecture de défense vénitienne. Bâtie sur une hauteur, elle comporte des maisons des périodes vénitiennes et britanniques à découvrir au détour de ses ruelles. Son kastro vénitien (de 1207) domine les deux baies jumelles de Kapsali et offre une vue spectaculaire sur la mer de Crète. À l’intérieur subsiste une église orthodoxe au milieu de bâtiments en ruine.
• Potamos : en toutes saisons, on s’y retrouve le dimanche matin pour le marché typique de la plus grande bourgade de l’île. On y achète toutes les spécialités dont le fameux miel.
• Paléochora : la capitale médiévale Agios Dimitrios, aujourd’hui Paléochora, a été dévastée par les pirates de Barberousse en l’an 1537. Des milliers d’habitants furent capturés ou massacrés. Invisible de la mer, la ville fantôme se dresse sur un site autrefois riche et fertile.
• Mylopotamos : c’est l’un des plus beaux villages médiévaux de l’île, sur un site verdoyant où s’épuise la cascade de Fonissa. Tout proche, le lion de Venise veille encore sur les vestiges de la ville de Kato Chora.
• Musée archéologique : situé à la sortie de Chora, il expose une collection de pièces de monnaie, de vases minoens, de poteries mycéniennes et d’objets de la période vénitienne.
• Musée d’art byzantin et post-byzantin : installé dans l’église de l’Ascension à Kato Livadi, il abrite peintures murales, icônes et mosaïques.
Par Catherine Faudemay
En savoir davantage sur : Catherine Faudemay