La conquête de l’Everest



Le 29 mai 1953 à 11 heures 30 du matin, le Néo-Zélandais Edmund Hillary se met à genoux au sommet de l’Everest, pendant que le Sherpa Tensing Norgay dépose une offrande de biscuits dans la neige. Ils sont les premiers hommes de l’histoire au sommet de Chomolongma, qui élève ses 8 848 mètres de glace et de roc dans le ciel himalayen. L’Everest est vaincu. Quand, vingt-sept ans plus tard, l’Italien Reinhold Messner se tient au même endroit, après une course en solitaire et sans oxygène par la face nord, et quand, en 1988, le Français Jean-Marc Boivin redescend du sommet en parapente jusqu’au glacier du Khumbu, il ne reste plus grand-chose à prouver sur le toit du monde. On peut raconter comment se déroula la conquête de l’Everest, on ne peut certes pas expliquer pourquoi, chaque année depuis 1921, des dizaines d’alpinistes vont y chercher la gloire ou la mort, des étoiles ou des tempêtes. « Parce qu’il est là ! », répondait l’Anglais Mallory quand on lui posait la question. Entre 1921 et 1924, il domina les premières expéditions de conquête. Il grimpait en bandes molletières, lisait Shakespeare au bivouac, éprouvait de la tendresse pour l’Everest et disparut vers 8 600 mètres, happé par le ciel alors qu’il se dirigeait vers le sommet, échappant au regard de ceux qui l’observaient à la jumelle, plus bas. Il entra ainsi dans la légende le 8 juin 1924 et laissa planer un mystère jamais résolu : Mallory, le poète, fut-il le premier homme sur l’Everest ? Mais en fait la conquête de l’Everest datait de bien plus longtemps : il avait d’abord fallu le découvrir. Ce furent des jésuites français qui, les premiers, en 1717, mentionnèrent une très haute cime aperçue par des lamas tibétains, et dont ils écorchèrent le nom : Tchoumou Lancma. Bien plus tard, les services cartographiques britanniques, moins lyriques, l’appelèrent le « pic XV ». À partir du moment où l’on identifia ce « pic XV » comme le toit du monde, en mesurant avec précision ses 8 848 mètres et qu’un fonctionnaire du Survey of India lui donna, en 1856, le nom de sir George Everest, directeur du Service géodésique de l’Inde de 1823 à 1843, la course à la cime commença. Une fois l’Everest inventé, restait à trouver comment gagner son pied. Ce furent Mallory et Bullock qui découvrirent l’accès par le nord, au long du glacier tibétain de Rongbuk, lors de la première expédition de 1921. En 1950, H. W. Tilman, marin, alpiniste et aventurier, repéra le versant népalais et le glacier du Khumbu qui mène au col sud et à la voie normale actuelle.
Des dizaines d’expéditions britanniques ou suisses se succédèrent jusqu’à la victoire de Hillary, sous le commandement de sir John Hunt. Après 1953 vint le temps des records : première traversée d’une face à l’autre en 1963, première femme au sommet et première ascension par la face sud-ouest en 1975, première sans oxygène, première française et première liaison radio en direct en 1978, première hivernale en 1979, première en moins de vingt-quatre heures en 1988, première descente à ski en 1992, etc. Faut-il citer les sauts en parachute, les descentes en surf, les tentatives d’émission télévisée, les expéditions commerciales qui mènent au sommet des clients parfois à peine préparés, nouveau phénomène des années 1990 ? La tragédie de mai 1996 où huit participants à ce genre d’ascension organisée perdirent la vie dans une tempête, n’a, hélas, même pas remis en question cette manière d’acheter sa place pour l’Everest. Mais elle prouve que, malgré le perfectionnement des techniques, le développement des performances et les motivations variées, Chomolongma est encore capable, selon l’expression sherpa, de « lâcher ses chiens », de refuser le passage et de mener la danse.

Par Alexandre Poussin & Sylvain Tesson
Texte extrait du livre : Himalaya, Visions de marcheurs des cimes
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