La géologie du Sahara



Une très longue histoire
Parce que la roche y est nue, c’est au Sahara plus facilement qu’ailleurs qu’on peut retrouver les principaux moments de l’évolution de notre planète. Au Sahara central comme au Brésil, sur les parties des continents qui étaient alors réunis en un seul, on trouve en effet les plus anciens témoins de la croûte primitive, des roches ayant résisté aux énormes chaleurs et pressions, qu’on a pu dater de plus de 3,5 milliards d’années. Au tout début de l’histoire géologique du Sahara, il y a donc la formation d’une première croûte de la Terre, puis l’accumulation d’énormes quantités de roches, surtout volcaniques, qui constituent une immense chaîne de montagne, les Saharides, qu’un milliard d’années d’érosion va complètement raboter. Le nivellement de ce relief provoque alors un lent affaissement du nord-ouest de l’Afrique, suivi de l’envahissement du continent par les eaux (lacs, lagunes, mer) où des formes pionnières de vie commencent à se développer : des algues bleues microscopiques qui constituent de véritables récifs.
Après un épisode glaciaire marquant la fin du précambrien, des milliers de mètres de sédiments se déposent sur le vieux socle saharien. Transformés par la suite en grès, calcaires, conglomérats et argiles, ils constituent les couches des grands plateaux touaregs et mauritaniens. Pendant plusieurs dizaines de millions d’années, au cambrien et à l’ordovicien, de grands fleuves venus du sud étalent d’immenses nappes de sédiments sableux à stratifications obliques qui deviendront les grès des tassilis ainsi que les réservoirs de pétrole que l’on connaît. Le déplacement du pôle Sud et l’installation d’une nouvelle calotte glaciaire suivis d’invasions marines successives précèdent la séparation de l’Afrique et de l’Amérique qui commence il y a environ 200 millions d’années, provoquant l’apparition de volcans.
C’est au début du tertiaire, il y a 65 millions d’années, que la mer se retire définitivement, laissant de vastes surfaces sédimentaires dans un Sahara dont les contours géographiques ne changeront plus guère mais qui verra s’élever dans le nord de l’Afrique deux chaînes en rameau alignées ouest-est, et dans le même temps se former au sud un bombement qui donnera naissance à l’Ahaggar (Hoggar), sous sa forme actuelle. Ces mouvements cassants déclenchent un nouvel épisode de volcanisme actif. Quant au modelé des paysages sahariens que nous connaissons, il est dû aux agents atmosphériques. C’est au quaternaire, il y a 2 millions d’années, que des alternances climatiques humides et sèches finissent de donner au Sahara son visage : l’eau (les fleuves notamment) déblaie ici ce que le vent transporte et accumule ailleurs. Pendant les périodes sèches, plusieurs systèmes de dunes édifient les ergs. Le désert actuel est jeune, il date d’il y a environ quatre mille ans et nul ne peut dire quand débutera la prochaine phase humide.

Concrétions
Si, quand on les embrasse du regard, les paysages sahariens peuvent enthousiasmer par leur étrangeté et leur aspect grandiose, l’observation attentive du sol peut elle aussi révéler de surprenantes curiosités géologiques. En terrain caillouteux, surtout gréseux mais aussi calcaire, argileux et marneux, il n’est pas rare de rencontrer, dégagées par l’érosion, des concrétions aux formes et aux couleurs étonnamment variées, en général de dimensions modestes, de l’ordre du centimètre, parfois du décimètre. Ce sont des billes ou de petites boules en grès, quelquefois par milliers, sphériques ou ovoïdes, des nodules métalliques, libérés ou encore engagés dans la roche encaissante, des agrégats de ces sphères, en amas bourgeonnants à coalescences multiples de couleur blanchâtre, rougeâtre ou noirâtre, des accumulations à la surface de certains blocs ou affleurements, en croûtes mamelonnées plus ou moins épaisses ; ou encore diverses formes de ferruginisations dans les masses rocheuses ou dans les fissures, en tubes simples ou ramifiés, en feuillets, en disques, en lamines contournées ; ou bien, enfin, des formes variées de cristallisations d’oxydes de fer (hématite, limonite) et de manganèse, brun-rouge ou noires.
Exceptionnellement, dans les grès, ces phénomènes peuvent devenir beaucoup plus volumineux, comme les concrétions qu’on peut voir en Libye. La formation de ces concentrations minérales d’aspects très divers peut être essentiellement physico-chimique : l’eau ou l’humidité infiltrée dissout des éléments comme le calcaire, la silice, le fer, etc. Après migration des solutions, ces éléments chimiques recombinés cristallisent au sein de la roche, dans ses fissures ou à sa surface. Le plus souvent, cependant, pour les formes arrondies ou mamelonnées, l’activité minéralisante d’associations de plusieurs micro-organismes (bactéries, algues, champignons, symbiotes lichéniques) s’avère dominante et elle explique leur genèse et leur développement. Au laboratoire, à partir de menus fragments de ces concrétions plongés dans des milieux nutritifs appropriés, on a pu non seulement isoler les microbes responsables de ces concentrations minérales, mais aussi obtenir leur reproduction. Au microscope électronique, on observe que des bactéries (bacilles) utilisent le calcium, le fer ou le manganèse présents dans le milieu, métabolisent ces éléments et s’enferment à l’intérieur d’un minicristal produit par leur membrane cellulaire. À l’université Paris-VI, Jean-Pierre Adolphe, l’un des meilleurs spécialistes internationaux de géomicrobiologie expérimentale, a, par exemple, isolé dès les années 1970 une bactérie calcifiante active responsable de la cimentation des kerkoub, ces concrétions calcaires dans les grès du Sahara.

Érosions
Au Sahara, les formes d’érosion révèlent la variété des ossatures géologiques en même temps que les divers types d’altération des roches sous les actions combinées de l’eau, de la température et du vent. Il n’y a, par exemple, rien de commun entre les croupes, dômes ou chaos de boules granitiques du Hoggar et les impressionnantes « forêts » de colonnes gréseuses du Tassili-n-Ajjer : les mêmes causes atmosphériques sur des roches différentes peuvent engendrer des formes d’érosion très dissemblables. De même, l’intensité de certains processus d’érosion ou leur action quasi exclusive peuvent entraîner des effets variés sur une même nature de roche. La manière dont les roches se sont formées, leur position dans le paysage, leur dureté, leur couleur, la finesse de leurs grains, la résistance de leurs minéraux à la fragmentation mécanique ou à la dissolution chimique, sont autant d’explications à la diversité des formes d’érosion qu’elles subissent. Au cours des temps géologiques, c’est principalement les eaux courantes qui ont donné leur visage actuel aux paysages sahariens : creusement des vallées, gorges et décors ruiniformes des plateaux tassiliens, démantèlement, désagrégation et altération chimique des massifs granitiques et volcaniques au Hoggar, vastes étalements de cailloutis dans les plaines (regs alluviaux), etc. Le vent déblaie et déplace le sable pour l’accumuler en dunes mobiles ou en ergs, et il use ou polit les roches. Dans le désert, l’absence de couvert végétal et l’exposition directe des roches au rayonnement solaire dans une atmosphère sèche, dépourvue de l’effet modérateur des nuages et de la vapeur d’eau près du sol, les forts écarts de température entre le jour et la nuit, leur succession rapide ou brusque en cas de pluies (rares), tous ces facteurs accentuent les processus mécaniques de l’érosion : fissurations, craquelures, cassures des blocs et des cailloux, écaillage des surfaces, exfoliations, desquamations, désagrégations granulaires et production de sables (grès) ou d’arènes (granites). Les tensions et les fatigues provoquées par les cycles indéfiniment répétés de dilatation et de contraction aboutissent à des ruptures. Cette thermoclastie sèche est omniprésente. Parfois, en altitude et pendant les nuits d’hiver, le gel entraîne des éclatements. La cristallisation des sels remontés en surface par évaporation provoque des efflorescences avec pulvérisation des roches, ou alvéolisations. Même s’il est difficile d’apprécier leur importance passée et actuelle, ainsi que leur rythme, on peut dire que l’action de ces processus est lente, au moins séculaire, certainement millénaire.

Par François Soleilhavoup
Texte extrait du livre : Sahara, Visions d’un explorateur de la mémoire rupestre
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