Sur la rivière Moma – Iakoutie (Russie)
Année 2009
© Birgit Guerrier
Nostalgie :
« À 57 ans, j’ai encore la nostalgie du Vercors, de mes toutes premières annĂ©es de vie, un Vercors encore rural oĂą mon plus grand plaisir, après une longue promenade à travers des bois noirs parsemĂ©s de fourmilières gĂ©antes, Ă©tait de dĂ©guster la limonade de Tatie Beaudoingt et de croquer dans mon pain-pâte de fruits avant d’aller voir les vaches alignĂ©es dans l’Ă©table sous les trophĂ©es colorĂ©s des comices agricoles. Est-il possible que nos deux garçons, Willi et Mischa, aient suivi le mĂŞme cheminement? qu’ils essaient de revivre en montagne leurs premières Ă©motions, leurs premiers enchantements ? Willi piqua ainsi son premier fou rire, perchĂ© sur son porte-bĂ©bĂ©, en voyant sa mère chuter dans un torrent des Alpes bergamasques. Mischa fĂŞta ses 4 ans à poursuivre les marmottons de terrier en terrier lors de son premier 1 000 mètres de dĂ©nivelĂ©e. L’un est aujourd’hui moniteur de ski, l’autre se prĂ©pare à devenir guide de haute montagne. Avons-nous bien fait de leur transmettre, sciemment ou inconsciemment, cet attachement ?
La montagne n’est-elle pas une citadelle dĂ©risoire contre le temps qui passe, une inĂ©vitable source de dĂ©ception dans un monde oĂą les heures deviennent des minutes, oĂą l’individualisme règne, oĂą l’accumulation devient l’alpha et l’omĂ©ga de nos existences ? La montagne est une Ă©cole anachronique de la frugalitĂ©, un espace oĂą l’on se contente de peu. Le bonheur là-haut se construit avec un pauvre abri dans la tempĂŞte, un feu de bois, une chambre de six plutĂ´t qu’un dortoir, une douche en deux minutes chrono ; un bonheur qui ne peut s’accumuler car, en montagne, on voyage lĂ©ger. S’alourdir, c’est se mettre en danger. »
OpĂ©ra alpin (L’), À pied de la Bavière à Bergame
(p. 31-32, Transboréal, ? Voyage en poche », 2014)