Bernard Delloye

Horizon ultime :

« Je n’oublierai jamais la lumière de ce matin de novembre. Jaillissant d’une fenêtre entre les dunes, le scintillement de la mer nous frappe en plein visage. Après les vallonnements d’oyats courbés par le vent, la cabane d’un pêcheur signale un passage. C’est là que l’horizon ultime nous attend, au terme d’un voyage de trois ans en famille. Nous sentons pour la première fois la respiration du ventre océanique. Le grondement des flots s’amplifie, broie le silence dans nos têtes. Tout un continent attaqué dans ses soubassements tremble de volupté, tressaille sous nos pieds. Au bas de l’estran vaste et moelleux, notre cortège s’est immobilisé, muet devant la peau tendue de l’océan. Les ânes, inconscients de la solennité du jour, rompent les rangs et baladent notre maisonnée à fleur d’eau. Les enfants ont lâché leurs sacs, enlevé leurs bottines. L’un tout à la joie bavarde de sentir ses pieds s’enfoncer entre les coussins de sable, l’autre remplissant son chapeau de coquillages. Notre course s’achève devant ces rouleaux de sel et d’écume. Un cabotage à vrai dire guère éloigné des côtes de la civilisation. Une promenade sans itinéraire, sans destination précise et sans date de retour. Pendant que les goélands que notre arrivée a dispersés atterrissent innombrables et reprennent à cris perçants le mareyage des poissons laissés par les filets, les pensées vont et viennent dans le ciel de mes souvenirs. »