La Grèce est bien vivante, je l’ai rencontrĂ©e :
« La Grèce que j’apprenais à l’UniversitĂ©, je l’ai dĂ©couverte, vivante, à Épidaure en 1947. J’appartenais au Groupe de théâtre antique de la Sorbonne et nous avions Ă©tĂ© invitĂ©s, à l’occasion du centenaire de l’École française d’archĂ©ologie, à venir jouer Les Perses d’Eschyle dans ce théâtre. Il Ă©tait alors très isolĂ©, sans route carrossable pour s’y rendre et nul n’avait plus jouĂ© ici depuis les temps antiques. Vingt-cinq siècles de silence ; cela nous impressionnait. D’autant qu’au lieu d’avoir pour spectateurs, comme on le pensait, une poignĂ©e d’officiels et quelques rares touristes (bien peu de monde pour un théâtre de 15 000 places), on eut la surprise de trouver des milliers de paysans venus là comme à une fĂŞte exceptionnelle. Certains avaient dĂ» venir de très loin car il y avait partout des ânes, des mulets chargĂ©s de couvertures, de rĂ©chauds, de victuailles. Des familles entières Ă©taient installĂ©es – avec les aĂŻeuls et les enfants – sous les pins du sanctuaire d’Esculape. Là, on faisait griller des moutons, ailleurs on chantait, on dansait. Tout le lieu Ă©tait envahi d’odeurs fortes : les viandes à la broche, la rĂ©sine, les graisses brĂ»lĂ©es. Je pris soudain conscience que les foules antiques qui envahissaient pĂ©riodiquement ce sanctuaire oĂą le dieu Esculape opĂ©rait, dit-on, des guĂ©risons miraculeuses, devaient ressembler à cette foule bruyante et remuante. D’un coup, la Grèce moderne me rĂ©vĂ©lait un aspect de la Grèce ancienne bien peu conforme à l’idĂ©e qu’on s’en fait sur les bancs du lycĂ©e. Oui, bizarrement, ce sont d’abord ces odeurs et cette foule qui m’ont rĂ©vĂ©lĂ© la permanence de la Grèce. »
Un rêve éveillé, Soixante ans de passion pour le théâtre
(p. 21-22, Transboréal, 2008)