Arrière-pays niçois (France)
Année 2006
© Claude Gamby
Militant et passionné :
« J’ai grandi dans une nature très jardinĂ©e oĂą mes premières amours furent les montagnes basques, habitĂ©es par les brebis et les pottoks, vides de la grande faune sauvage prĂ©datrice et survolĂ©es par les vautours alliĂ©s des Ă©leveurs. Quand j’eus 9 ans, Jacques Fourquet, une belle figure d’Hendaye, bĂ©arnais par le patronyme et basque par sa mère, m’initia à l’ornithologie en compagnie de plusieurs de ses petits-enfants et de mon frère GrĂ©gory. À toutes les vacances, nous courions l’estuaire de la Bidassoa, la corniche basque, le Jaizkibel, le Xoldokogaina, la Rhune et l’Artzamendi, collĂ© à la frontière au sud d’Itxassou.
Un jour de fĂ©vrier 1981, Jacques Fourquet nous emmena pour la première fois dans ce massif apprĂ©ciĂ© entre tous. Je me souviens du cercle de pierres qui nous accueillit au col de MehatzĂ©, et c’est bien plus tard que je compris combien ce mĂ©galithe signait une prĂ©sence pastorale millĂ©naire. Aco – c’Ă©tait son diminutif – parlait l’euskara et rĂ©pondait à toutes nos questions linguistiques. Quid de l’Artzamendi, la “montagne de l’ours” ? Mais oĂą Ă©taient donc passĂ©s ces ours ? Par une lumineuse journĂ©e d’automne, je posai la question à Jean-François Sagot, naturaliste audacieux qui tenait avec une poignĂ©e d’amis le col d’Organbidexka face aux chasseurs de palombes : “C’est juste derrière le pic d’Anie qu’on trouve les derniers ours.” Quelques annĂ©es après, je dĂ©couvris Les Mammifères sauvages d’Europe de l’artiste et philosophe suisse Robert Hainard et lisais avec fièvre les rĂ©cits de ses observations dans l’ancienne Yougoslavie, en Bulgarie et en Roumanie. Il Ă©crivait : “Voir un ours est à la fois un luxe et une nĂ©cessitĂ© de l’existence normale.” Cette phrase ne me quitta plus.
Cap sur les PyrĂ©nĂ©es ! En 1993, je m’Ă©tablissais en BĂ©arn, à Pau, et rejoignais les opposants aux amĂ©nagements routiers de la vallĂ©e d’Aspe qui menaçaient la tranquillitĂ© des habitants et celle d’une nature exceptionnelle. J’allais enfin dĂ©fendre l’un des ultimes refuges des ours ! Je ne m’appesantirai pas sur ces longues et Ă©prouvantes annĂ©es de combat associatif menĂ©es au sein de divers groupes et qui prirent fin en 2010 avec la parution de l’essai Le Pays des forĂŞts sans ours. Ceux qui s’intĂ©ressent à l’histoire des ours dans les PyrĂ©nĂ©es, à leur conservation et à ses multiples rebondissements, liront avec profit ce texte à la fois factuel et critique. J’ai tournĂ© une page douloureuse, renonçant au militantisme pour Ă©voluer vers une nouvelle pratique irriguĂ©e par cette maxime d’Hainard : “Agir moins pour accomplir plus.” »
Le Cantique de l’ours, Petit plaidoyer pour le frère sauvage de l’homme
(p. 11-12, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2008, rééd. 2019)