La réintroduction du cheval de Prjevalski
Voyage d’une steppe à l’autre
Born to be wild – Né pour être sauvage – a fêté ses 9 ans au printemps 2004. Étalon dominant, il a fondé une harde au sein du troupeau du causse Méjean, en Lozère, et a engendré de nombreux poulains. Son groupe familial a été choisi en septembre 2004 pour faire partie du grand voyage de retour vers les steppes de Mongolie d’où ce petit cheval sauvage a complètement disparu il y a une quarantaine d’années.
Le cheval de Prjevalski, appelé takh par les Mongols, est considéré comme le dernier représentant vivant du cheval sauvage. Si les scientifiques doutent qu’il soit l’ancêtre du cheval domestique, sa ressemblance avec les peintures rupestres des grottes de Lascaux, de Niaux ou de Chauvet en fait néanmoins un survivant des premiers chevaux. Il ne mesure pas plus de 1,40 mètre au garrot, son encolure est large et puissante, son dos droit et court. La robe est isabelle (fauve clair) et les membres sont souvent zébrés de noir. Une raie de mulet plus sombre s’étire de la croupe au garrot. Il possède soixante-six chromosomes, comme le zèbre, au lieu des soixante-quatre du cheval domestique, ce qui le rend complètement sauvage : les rares tentatives de domestication n’ont fait qu’éveiller son agressivité.
Le cheval de Prjevalski était considéré comme éteint à la fin du XIXe siècle. Pourtant, dans les espaces désertiques de Dzoungarie (au sud-ouest de la Mongolie), l’explorateur russe Nicolaï Mikhaïlovitch Prjevalski l’a redécouvert à l’état sauvage, lors de son expédition de 1879-1880. Le petit cheval fauve est alors devenu l’objet de toutes les attentions de la part des directeurs de zoos et des éleveurs occidentaux. Au début du XXe siècle, les premiers poulains venant de Mongolie sont arrivés en Europe par le Transsibérien : un nombre important de chevaux a ainsi rejoint le centre d’Ascania-Nova en Ukraine, et une cinquantaine ont été répartis dans plusieurs zoos et parcs privés d’Europe et des États-Unis. Malgré des débuts difficiles, l’élevage en captivité a été un succès et le troupeau mondial de chevaux captifs a connu un développement important.
Ces campagnes de capture associées à une expansion du développement pastoral en Mongolie ont progressivement poussé les takh à se réfugier dans les zones désertiques du sud-ouest du pays (dans le désert de Gobi) où ils ont été décimés pour leur viande par les Kazakhs qui fuyaient les armées russes. Le cheval de Prjevalksi a ainsi fini par disparaître complètement de son dernier refuge, les monts Takh, au sud-ouest de la Mongolie. Le dernier spécimen à l’état sauvage a été aperçu en 1968.
Cette disparition a ému les scientifiques du monde entier et, en réponse, le Congrès pour le cheval takh qui s’est tenu à Moscou en 1985 a vu s’afficher la volonté de réintroduire le cheval de Prjevalski dans son habitat d’origine, en Mongolie et en Chine. Un plan d’élevage sérieux a ainsi pu être mis en place au niveau mondial avec la collaboration des zoos et des éleveurs privés, en Europe, en Australie, aux États-Unis. Des chevaux issus de différents zoos ont alors été regroupés dans des élevages en semi-liberté dans différents pays, avec pour finalité d’être réintroduits dans leur territoire d’origine.
Entraînement à la vie sauvage sur le causse Méjean
C’est dans ce contexte que l’association Takh a vu le jour en France en 1990, fondée par l’éthologue Claudia Feh. Il s’agissait de recréer pour les chevaux les conditions d’une vie proche de l’état sauvage afin de donner toutes les chances au troupeau de s’adapter à une réintroduction en Mongolie. L’environnement devait permettre aux chevaux de « s’entraîner » à la vie sauvage, et le contact humain devait rester aussi discret que possible (pas d’apport de nourriture, pas de vaccination, pas d’intervention pour les mises bas…). C’est finalement le causse Méjean qui a été choisi pour accueillir les chevaux en raison de ses conditions géographiques et climatiques. Les aménagements nécessaires à l’élevage de chevaux et la création d’un parc de 400 hectares ont été réalisés grâce au soutien de différents partenaires financiers (le WWF France, la région, le département, l’Europe et l’État, le parc national des Cévennes et des fonds privés).
Des chevaux ont été sélectionnés dans les zoos selon le critère du plus bas taux de consanguinité possible : en 1993 et 1994, onze chevaux (juments et étalons) ont ainsi été lâchés sur le plateau du Méjean, au hameau du Villaret. On a pu observer, dès la première génération de poulains, que les chevaux avaient réintégré dans leur mode de vie individuel et collectif les comportements ancestraux que la vie en captivité rendait impossibles. Le troupeau a retrouvé un système social hiérarchisé et s’est organisé en hardes de quelques juments menées par un étalon. Les membres d’une même harde se sont regroupés pour se protéger et mieux se défendre contre les prédateurs. La première année, le troupeau de onze chevaux s’est scindé en deux : un étalon a formé une harde avec les six juments fondatrices alors que les quatre étalons restants sont restés ensemble, formant le groupe dit des « célibataires ». Puis l’étalon meneur a été remplacé par un autre à la tête du groupe. Les jeunes juments nées en liberté les années suivantes ont formé à leur tour de nouveaux groupes dès qu’elles ont atteint l’âge de se reproduire. Parallèlement, on observe toujours des groupes de jeunes mâles célibataires qui, écartés du troupeau, tentent régulièrement leur chance par des combats parfois spectaculaires, pour prendre la tête d’une harde. Les chevaux vivent à proximité les uns des autres, dans des espaces où se côtoient mâles, femelles, jeunes et vieux. L’accès aux ressources en herbe et en eau se fait selon le respect d’une hiérarchie naturelle qui s’établit entre les uns et les autres. Mais les rôles de dominance et de soumission peuvent changer selon le contexte et rien n’est immuable. Ce qu’il faut noter, c’est que les chevaux ont trouvé sur la steppe rase du causse Méjean un aperçu des conditions naturelles de Mongolie. L’important pour la réussite du projet de réintroduction en Mongolie était de favoriser la création de harems, où chaque individu occupe une fonction précise : les juments âgées sont à l’initiative des déplacements pour la nourriture, les étalons protègent les jeunes des prédateurs et assurent la reproduction, les poulains perpétuent le patrimoine génétique de leurs parents.
L’année de sa naissance sur le Causse en 1996, Born to be wild est l’un des rares poulains à avoir survécu. À l’époque, ce nom évocateur avait l’allure d’un pari fou lancé par Claudia Feh et les membres de l’association Takh : « Et si Born to be wild faisait partie de ces chevaux qui un jour retrouveront la steppe de Mongolie… » Born to be wild appartient à la première génération de poulains issus du troupeau fondateur. Il se distingue par sa puissance physique et une particularité dans la robe qui lui vient de son père et que l’on retrouve chez les poulains de sa descendance : une marque plus sombre sur la pointe de l’épaule, à gauche comme à droite. La famille qu’il a constituée se compose de juments nées en semi-liberté dans le parc du Méjean. Pour ces raisons, son groupe familial a été sélectionné pour la première réintroduction en Mongolie, qui a eu lieu en septembre 2004.
Au début de l’été 2004, trois enclos d’environ 3 000 mètres carrés ont été construits à l’intérieur du parc du Villaret pour isoler les trois groupes de chevaux choisis pour le voyage : deux familles constituées et un groupe de jeunes adultes célibataires. Avec Born to be wild, dans l’enclos n° 1, cinq juments et poulains ont été attirés avec une pierre à sel et du foin pour être enfermés et isolés visuellement du reste du troupeau par une grande palissade de toile opaque. Un abri en bois construit au milieu de l’enclos et divisé en six stalles a été alimenté en nourriture deux fois par jour. Les chevaux ont ainsi progressivement pris l’habitude d’entrer dans les stalles pour manger. Ils se sont accoutumés au bruit de leurs sabots sur le sol, à l’odeur du bois, à l’enfermement dans un espace étroit et sombre, en étant séparés visuellement de leur environnement et des autres membres du groupe. Ils ont fini jour après jour par entrer et sortir des stalles naturellement pour manger et se mettre à l’ombre.
Le grand départ
Vendredi 3 septembre 2004, comme à l’habitude, de l’orge a été distribuée dans chacune des stalles. Born to be wild entre dans une stalle et commence à manger. Soudain, les portes se referment sur lui : panique, hennissements, ruades, coups de pieds… Le seau d’orge explose, les planches craquent, mais la porte tient bon. Dehors, bruits de planches et coups de marteau, cris humains, bruit de moteur. Les membres de l’association Takh poussent de toutes leurs forces pour maintenir les portes fermées et retenir l’impulsion des chevaux. Le bruit de moteur se fait plus présent, se rapproche. Quelqu’un s’active derrière Born to be wild. La porte s’ouvre, il peut enfin reculer vers l’extérieur mais là , surprise, il se retrouve à nouveau enfermé dans un espace confiné. Nouvelles ruades : il tape du pied, ça craque ; il recule, ça plie. Une piqûre de tranquillisant dans la fesse et il perd ses moyens, se calme et entend sans pouvoir rien faire les juments de son groupe subir le même sort que lui. Au bout de quelques heures, chaque animal est enfermé dans une caisse. « Les étalons sont plus vulnérables que les juments », explique le vétérinaire Christian Walzer qui a déjà accompagné les voyages d’autres chevaux de Prjevalski vers la Mongolie. « Ils dépensent beaucoup d’énergie à essayer de retrouver leur groupe et de reconquérir un territoire. »
L’embarquement des douze chevaux dans les caisses de transport construites sur mesure mettra presque dix heures. Les deux camions transportant les chevaux et le matériel (abreuvoir, nourriture) rejoindront l’aéroport de Nîmes au petit matin après quatre heures de route. Encore un transfert entre le camion et l’Iliouchine et c’est le décollage dans un vacarme assourdissant : nous sommes le 4 septembre à midi. Born to be wild et ses compagnons de voyage vont passer douze heures enfermés dans le noir à bord de l’avion-cargo russe.
Premiers pas vers la liberté
Dimanche 5 septembre : l’avion atterrit sur la piste de l’aéroport de Khovd, dans l’ouest de la Mongolie. Ici, pas de grues ou de transpalettes mais les bras et l’enthousiasme des Mongols pour transférer les caisses les unes après les autres dans un avion plus petit, un Antonov 26. L’avion fera deux voyages pour transporter hommes, chevaux et matériel tout près du site de lâcher, dans la réserve naturelle de Khomiin-Tal. Cette fois, l’avion atterrit sur une piste de fortune en pleine steppe. La fin du voyage est proche. À la sortie de l’avion, un air chaud et sec emplit les poumons de Born to be wild, une poussière de sable lui colle aux naseaux. Il reçoit du lait sur la croupe à travers l’ouverture de la caisse : ici, de par sa couleur blanche, le lait est symbole de pureté. Les anciens en aspergent les caisses pour porter bonheur. C’est une coutume ancestrale issue de croyances chamaniques toujours vivaces dans la vie quotidienne des familles mongoles. Hommes, femmes, enfants, moines bouddhistes, le gouverneur de la région et même l’ambassadeur de France en Mongolie, Nicolas Chapuis, sont au rendez-vous. Depuis la veille, en Jeep, à cheval ou à dos de chameau, curieux et officiels ont parcouru des kilomètres pour être de la partie. Le cheval est un animal sacré dans la culture mongole et accueillir des chevaux de Prjevalski disparus de la steppe depuis plusieurs années est une véritable fête.
Plus de quarante heures après le moment fatidique où Born to be wild s’est retrouvé pris au piège sur le causse Méjean, la porte de sa caisse s’ouvre enfin. Sans hésitation, il jaillit au-dehors et part dans un galop sans but. Il est couvert de petites blessures aux paupières et aux naseaux, autant de témoins de ses tentatives d’évasion. Autour de lui, l’espace est immense, couvert de graminées sur fond de collines de sable. Les premières heures sont mouvementées : les repères anciens ont disparu et il s’agit pour chacun de retrouver sa place et de reconstruire des liens sociaux avec les autres membres du troupeau. Born to be wild reprend ses habitudes de mâle dominant : combats avec les autres étalons, rassemblement des juments… Le troupeau va rester plusieurs mois dans un enclos d’acclimatation, observé par les équipes de rangers mongols installés dans des yourtes près de la rivière Zavkhan. Un abri construit au milieu de cet enclos permet aux chevaux de se mettre à l’ombre pour s’abriter des mouches et autres insectes, nombreux dans cette région bordée à l’ouest par de vastes marécages.
C’est le début d’une nouvelle vie pour les douze chevaux venus de Lozère. Les juments ont reçu des contraceptifs pour empêcher qu’elles ne soient pleines pendant le voyage en avion et pendant les cinq mois d’hiver où elles auront besoin de puiser dans leurs réserves pour résister au froid. Les chevaux devront alors trouver leur nourriture en grattant la neige et survivre à des températures régulièrement proches des – 25 °C. Autre inquiétude de l’équipe Takh : les loups. Ils sont nombreux en Mongolie et peuvent attaquer les chevaux. Les précédentes expériences de lâchers de chevaux de Prjevalski en Mongolie (venus des Pays-Bas et d’Allemagne) sur d’autres sites ont montré que les premières attaques pouvaient être fatales mais que les chevaux apprenaient vite à se défendre. L’étalon rassemble poulains et juments et fonce droit sur le loup qui finit par s’attaquer de moins en moins aux chevaux, y compris aux chevaux domestiques des éleveurs de la région. En attendant les premiers froids et l’arrivée de douze autres chevaux du causse Méjean en 2005, c’est avec un regard tout neuf et pourtant vieux de milliers d’années que Born to be wild foule à nouveau la steppe de ces ancêtres.
Un peu d’histoire
1881 : Recensement du cheval de Prjevalski en Dzoungarie par l’explorateur russe Nicolaï Mikhaïlovitch Prjevalski.
1900 : Début de la mise en captivité de chevaux en Europe, en Australie et aux États-Unis.
1968 : Le dernier cheval est aperçu à l’état sauvage en Dzoungarie.
1985 : Congrès de Moscou pour le cheval de Prjevalski qui affiche une volonté internationale de réintroduction de ce cheval en Mongolie et en Chine.
1990 : Début des programmes internationaux de réintroduction des chevaux en Mongolie, et création en France de l’association Takh par Claudia Feh qui choisit le site du Villaret sur le causse Méjean pour reconstituer un troupeau en semi-liberté.
1994 : Premiers chevaux (issus d’élevages allemands et néerlandais) relâchés en Mongolie dans les réserves de Khustaïn-Nuruu et Takhiin-Tal.
Septembre 2004 : Douze chevaux du causse Méjean sont relâchés en Mongolie, dans un troisième site d’accueil, la réserve de Khomiin-Tal.
Born to be wild – Né pour être sauvage – a fêté ses 9 ans au printemps 2004. Étalon dominant, il a fondé une harde au sein du troupeau du causse Méjean, en Lozère, et a engendré de nombreux poulains. Son groupe familial a été choisi en septembre 2004 pour faire partie du grand voyage de retour vers les steppes de Mongolie d’où ce petit cheval sauvage a complètement disparu il y a une quarantaine d’années.
Le cheval de Prjevalski, appelé takh par les Mongols, est considéré comme le dernier représentant vivant du cheval sauvage. Si les scientifiques doutent qu’il soit l’ancêtre du cheval domestique, sa ressemblance avec les peintures rupestres des grottes de Lascaux, de Niaux ou de Chauvet en fait néanmoins un survivant des premiers chevaux. Il ne mesure pas plus de 1,40 mètre au garrot, son encolure est large et puissante, son dos droit et court. La robe est isabelle (fauve clair) et les membres sont souvent zébrés de noir. Une raie de mulet plus sombre s’étire de la croupe au garrot. Il possède soixante-six chromosomes, comme le zèbre, au lieu des soixante-quatre du cheval domestique, ce qui le rend complètement sauvage : les rares tentatives de domestication n’ont fait qu’éveiller son agressivité.
Le cheval de Prjevalski était considéré comme éteint à la fin du XIXe siècle. Pourtant, dans les espaces désertiques de Dzoungarie (au sud-ouest de la Mongolie), l’explorateur russe Nicolaï Mikhaïlovitch Prjevalski l’a redécouvert à l’état sauvage, lors de son expédition de 1879-1880. Le petit cheval fauve est alors devenu l’objet de toutes les attentions de la part des directeurs de zoos et des éleveurs occidentaux. Au début du XXe siècle, les premiers poulains venant de Mongolie sont arrivés en Europe par le Transsibérien : un nombre important de chevaux a ainsi rejoint le centre d’Ascania-Nova en Ukraine, et une cinquantaine ont été répartis dans plusieurs zoos et parcs privés d’Europe et des États-Unis. Malgré des débuts difficiles, l’élevage en captivité a été un succès et le troupeau mondial de chevaux captifs a connu un développement important.
Ces campagnes de capture associées à une expansion du développement pastoral en Mongolie ont progressivement poussé les takh à se réfugier dans les zones désertiques du sud-ouest du pays (dans le désert de Gobi) où ils ont été décimés pour leur viande par les Kazakhs qui fuyaient les armées russes. Le cheval de Prjevalksi a ainsi fini par disparaître complètement de son dernier refuge, les monts Takh, au sud-ouest de la Mongolie. Le dernier spécimen à l’état sauvage a été aperçu en 1968.
Cette disparition a ému les scientifiques du monde entier et, en réponse, le Congrès pour le cheval takh qui s’est tenu à Moscou en 1985 a vu s’afficher la volonté de réintroduire le cheval de Prjevalski dans son habitat d’origine, en Mongolie et en Chine. Un plan d’élevage sérieux a ainsi pu être mis en place au niveau mondial avec la collaboration des zoos et des éleveurs privés, en Europe, en Australie, aux États-Unis. Des chevaux issus de différents zoos ont alors été regroupés dans des élevages en semi-liberté dans différents pays, avec pour finalité d’être réintroduits dans leur territoire d’origine.
Entraînement à la vie sauvage sur le causse Méjean
C’est dans ce contexte que l’association Takh a vu le jour en France en 1990, fondée par l’éthologue Claudia Feh. Il s’agissait de recréer pour les chevaux les conditions d’une vie proche de l’état sauvage afin de donner toutes les chances au troupeau de s’adapter à une réintroduction en Mongolie. L’environnement devait permettre aux chevaux de « s’entraîner » à la vie sauvage, et le contact humain devait rester aussi discret que possible (pas d’apport de nourriture, pas de vaccination, pas d’intervention pour les mises bas…). C’est finalement le causse Méjean qui a été choisi pour accueillir les chevaux en raison de ses conditions géographiques et climatiques. Les aménagements nécessaires à l’élevage de chevaux et la création d’un parc de 400 hectares ont été réalisés grâce au soutien de différents partenaires financiers (le WWF France, la région, le département, l’Europe et l’État, le parc national des Cévennes et des fonds privés).
Des chevaux ont été sélectionnés dans les zoos selon le critère du plus bas taux de consanguinité possible : en 1993 et 1994, onze chevaux (juments et étalons) ont ainsi été lâchés sur le plateau du Méjean, au hameau du Villaret. On a pu observer, dès la première génération de poulains, que les chevaux avaient réintégré dans leur mode de vie individuel et collectif les comportements ancestraux que la vie en captivité rendait impossibles. Le troupeau a retrouvé un système social hiérarchisé et s’est organisé en hardes de quelques juments menées par un étalon. Les membres d’une même harde se sont regroupés pour se protéger et mieux se défendre contre les prédateurs. La première année, le troupeau de onze chevaux s’est scindé en deux : un étalon a formé une harde avec les six juments fondatrices alors que les quatre étalons restants sont restés ensemble, formant le groupe dit des « célibataires ». Puis l’étalon meneur a été remplacé par un autre à la tête du groupe. Les jeunes juments nées en liberté les années suivantes ont formé à leur tour de nouveaux groupes dès qu’elles ont atteint l’âge de se reproduire. Parallèlement, on observe toujours des groupes de jeunes mâles célibataires qui, écartés du troupeau, tentent régulièrement leur chance par des combats parfois spectaculaires, pour prendre la tête d’une harde. Les chevaux vivent à proximité les uns des autres, dans des espaces où se côtoient mâles, femelles, jeunes et vieux. L’accès aux ressources en herbe et en eau se fait selon le respect d’une hiérarchie naturelle qui s’établit entre les uns et les autres. Mais les rôles de dominance et de soumission peuvent changer selon le contexte et rien n’est immuable. Ce qu’il faut noter, c’est que les chevaux ont trouvé sur la steppe rase du causse Méjean un aperçu des conditions naturelles de Mongolie. L’important pour la réussite du projet de réintroduction en Mongolie était de favoriser la création de harems, où chaque individu occupe une fonction précise : les juments âgées sont à l’initiative des déplacements pour la nourriture, les étalons protègent les jeunes des prédateurs et assurent la reproduction, les poulains perpétuent le patrimoine génétique de leurs parents.
L’année de sa naissance sur le Causse en 1996, Born to be wild est l’un des rares poulains à avoir survécu. À l’époque, ce nom évocateur avait l’allure d’un pari fou lancé par Claudia Feh et les membres de l’association Takh : « Et si Born to be wild faisait partie de ces chevaux qui un jour retrouveront la steppe de Mongolie… » Born to be wild appartient à la première génération de poulains issus du troupeau fondateur. Il se distingue par sa puissance physique et une particularité dans la robe qui lui vient de son père et que l’on retrouve chez les poulains de sa descendance : une marque plus sombre sur la pointe de l’épaule, à gauche comme à droite. La famille qu’il a constituée se compose de juments nées en semi-liberté dans le parc du Méjean. Pour ces raisons, son groupe familial a été sélectionné pour la première réintroduction en Mongolie, qui a eu lieu en septembre 2004.
Au début de l’été 2004, trois enclos d’environ 3 000 mètres carrés ont été construits à l’intérieur du parc du Villaret pour isoler les trois groupes de chevaux choisis pour le voyage : deux familles constituées et un groupe de jeunes adultes célibataires. Avec Born to be wild, dans l’enclos n° 1, cinq juments et poulains ont été attirés avec une pierre à sel et du foin pour être enfermés et isolés visuellement du reste du troupeau par une grande palissade de toile opaque. Un abri en bois construit au milieu de l’enclos et divisé en six stalles a été alimenté en nourriture deux fois par jour. Les chevaux ont ainsi progressivement pris l’habitude d’entrer dans les stalles pour manger. Ils se sont accoutumés au bruit de leurs sabots sur le sol, à l’odeur du bois, à l’enfermement dans un espace étroit et sombre, en étant séparés visuellement de leur environnement et des autres membres du groupe. Ils ont fini jour après jour par entrer et sortir des stalles naturellement pour manger et se mettre à l’ombre.
Le grand départ
Vendredi 3 septembre 2004, comme à l’habitude, de l’orge a été distribuée dans chacune des stalles. Born to be wild entre dans une stalle et commence à manger. Soudain, les portes se referment sur lui : panique, hennissements, ruades, coups de pieds… Le seau d’orge explose, les planches craquent, mais la porte tient bon. Dehors, bruits de planches et coups de marteau, cris humains, bruit de moteur. Les membres de l’association Takh poussent de toutes leurs forces pour maintenir les portes fermées et retenir l’impulsion des chevaux. Le bruit de moteur se fait plus présent, se rapproche. Quelqu’un s’active derrière Born to be wild. La porte s’ouvre, il peut enfin reculer vers l’extérieur mais là , surprise, il se retrouve à nouveau enfermé dans un espace confiné. Nouvelles ruades : il tape du pied, ça craque ; il recule, ça plie. Une piqûre de tranquillisant dans la fesse et il perd ses moyens, se calme et entend sans pouvoir rien faire les juments de son groupe subir le même sort que lui. Au bout de quelques heures, chaque animal est enfermé dans une caisse. « Les étalons sont plus vulnérables que les juments », explique le vétérinaire Christian Walzer qui a déjà accompagné les voyages d’autres chevaux de Prjevalski vers la Mongolie. « Ils dépensent beaucoup d’énergie à essayer de retrouver leur groupe et de reconquérir un territoire. »
L’embarquement des douze chevaux dans les caisses de transport construites sur mesure mettra presque dix heures. Les deux camions transportant les chevaux et le matériel (abreuvoir, nourriture) rejoindront l’aéroport de Nîmes au petit matin après quatre heures de route. Encore un transfert entre le camion et l’Iliouchine et c’est le décollage dans un vacarme assourdissant : nous sommes le 4 septembre à midi. Born to be wild et ses compagnons de voyage vont passer douze heures enfermés dans le noir à bord de l’avion-cargo russe.
Premiers pas vers la liberté
Dimanche 5 septembre : l’avion atterrit sur la piste de l’aéroport de Khovd, dans l’ouest de la Mongolie. Ici, pas de grues ou de transpalettes mais les bras et l’enthousiasme des Mongols pour transférer les caisses les unes après les autres dans un avion plus petit, un Antonov 26. L’avion fera deux voyages pour transporter hommes, chevaux et matériel tout près du site de lâcher, dans la réserve naturelle de Khomiin-Tal. Cette fois, l’avion atterrit sur une piste de fortune en pleine steppe. La fin du voyage est proche. À la sortie de l’avion, un air chaud et sec emplit les poumons de Born to be wild, une poussière de sable lui colle aux naseaux. Il reçoit du lait sur la croupe à travers l’ouverture de la caisse : ici, de par sa couleur blanche, le lait est symbole de pureté. Les anciens en aspergent les caisses pour porter bonheur. C’est une coutume ancestrale issue de croyances chamaniques toujours vivaces dans la vie quotidienne des familles mongoles. Hommes, femmes, enfants, moines bouddhistes, le gouverneur de la région et même l’ambassadeur de France en Mongolie, Nicolas Chapuis, sont au rendez-vous. Depuis la veille, en Jeep, à cheval ou à dos de chameau, curieux et officiels ont parcouru des kilomètres pour être de la partie. Le cheval est un animal sacré dans la culture mongole et accueillir des chevaux de Prjevalski disparus de la steppe depuis plusieurs années est une véritable fête.
Plus de quarante heures après le moment fatidique où Born to be wild s’est retrouvé pris au piège sur le causse Méjean, la porte de sa caisse s’ouvre enfin. Sans hésitation, il jaillit au-dehors et part dans un galop sans but. Il est couvert de petites blessures aux paupières et aux naseaux, autant de témoins de ses tentatives d’évasion. Autour de lui, l’espace est immense, couvert de graminées sur fond de collines de sable. Les premières heures sont mouvementées : les repères anciens ont disparu et il s’agit pour chacun de retrouver sa place et de reconstruire des liens sociaux avec les autres membres du troupeau. Born to be wild reprend ses habitudes de mâle dominant : combats avec les autres étalons, rassemblement des juments… Le troupeau va rester plusieurs mois dans un enclos d’acclimatation, observé par les équipes de rangers mongols installés dans des yourtes près de la rivière Zavkhan. Un abri construit au milieu de cet enclos permet aux chevaux de se mettre à l’ombre pour s’abriter des mouches et autres insectes, nombreux dans cette région bordée à l’ouest par de vastes marécages.
C’est le début d’une nouvelle vie pour les douze chevaux venus de Lozère. Les juments ont reçu des contraceptifs pour empêcher qu’elles ne soient pleines pendant le voyage en avion et pendant les cinq mois d’hiver où elles auront besoin de puiser dans leurs réserves pour résister au froid. Les chevaux devront alors trouver leur nourriture en grattant la neige et survivre à des températures régulièrement proches des – 25 °C. Autre inquiétude de l’équipe Takh : les loups. Ils sont nombreux en Mongolie et peuvent attaquer les chevaux. Les précédentes expériences de lâchers de chevaux de Prjevalski en Mongolie (venus des Pays-Bas et d’Allemagne) sur d’autres sites ont montré que les premières attaques pouvaient être fatales mais que les chevaux apprenaient vite à se défendre. L’étalon rassemble poulains et juments et fonce droit sur le loup qui finit par s’attaquer de moins en moins aux chevaux, y compris aux chevaux domestiques des éleveurs de la région. En attendant les premiers froids et l’arrivée de douze autres chevaux du causse Méjean en 2005, c’est avec un regard tout neuf et pourtant vieux de milliers d’années que Born to be wild foule à nouveau la steppe de ces ancêtres.
Un peu d’histoire
1881 : Recensement du cheval de Prjevalski en Dzoungarie par l’explorateur russe Nicolaï Mikhaïlovitch Prjevalski.
1900 : Début de la mise en captivité de chevaux en Europe, en Australie et aux États-Unis.
1968 : Le dernier cheval est aperçu à l’état sauvage en Dzoungarie.
1985 : Congrès de Moscou pour le cheval de Prjevalski qui affiche une volonté internationale de réintroduction de ce cheval en Mongolie et en Chine.
1990 : Début des programmes internationaux de réintroduction des chevaux en Mongolie, et création en France de l’association Takh par Claudia Feh qui choisit le site du Villaret sur le causse Méjean pour reconstituer un troupeau en semi-liberté.
1994 : Premiers chevaux (issus d’élevages allemands et néerlandais) relâchés en Mongolie dans les réserves de Khustaïn-Nuruu et Takhiin-Tal.
Septembre 2004 : Douze chevaux du causse Méjean sont relâchés en Mongolie, dans un troisième site d’accueil, la réserve de Khomiin-Tal.