Préface :
« Longtemps, je ne leur ai pas répondu. Ils m’envoyaient leurs messages, leurs bonnes feuilles et je ne savais pas comment leur écrire. Je parlais dans les bois, chantais parfois, et leur récitais des poèmes inventés dans l’instant, continuant un dialogue commencé dès ma petite enfance. Mais comment fixer sur le papier ce que je ressentais en passant sous leurs ombrages ? Le papier ! C’est leur pulpe, leur chair. L’âme des arbres porte l’encre des mots.
Dans le jardin public, le vent qui tourne les pages du livre oublié sur la chaise fait la même musique quand, tout au-dessus, il effleure les feuillages.
Il y a quelques années, passant à pied au jardin des Plantes de Montpellier où je devais faire une conférence, j’ai rencontré, sur un ancien talus plaisamment dénommé la “montagne de Richer”, un arbre étonnant, cousin botanique de l’olivier, planté ici il y a plusieurs siècles : on l’appelle “filaire à larges feuilles”. Quand on s’en approche, on se rend compte que son tronc est torturé, contourné de nœuds et d’anfractuosités. Si on l’observe de plus près, on devine, pliés et enroulés au fond des minuscules niches, des bouts de papier, glissés là par les promeneurs. Je sais, sans jamais avoir trahi leurs secrets, qu’il s’agit de messages confidentiels d’amours espérées, d’espoirs fous et de bonheurs implorés. Je suis resté toute une journée auprès de cet arbre/boîte aux lettres, surveillant clandestinement l’endroit sous couvert d’observations botaniques. Pourtant je n’y ai pas surpris quelconque rédacteur de ces étranges messages, ni rencontré le facteur discret qui vient relever le courrier. Les lettres sont là, confiées à l’écorce, comme à un ami de confiance qui intercédera peut-être favorablement auprès du destin. Cela doit se passer à la tombée du jour, sans doute, quand le vénérable jardin va fermer. Les timides aiment la pénombre. »
Lettres aux arbres
(p. 5-6, Elytis/Transboréal, 2021)