Sur l’arête ouest du Grand Bec en Vanoise – Savoie (France).
Année 2016
© Mickaël Pecollet
Du lac Léman à la forêt de la Guerliaz :
« Pour quoi faire finalement ? Que vais-je attendre de cette longue marche ? En tant que médecin, je vois la vie dure des gens, les errances des uns, les peines des autres. Comme tous les fonctionnaires de l’humanité, j’assiste aux premières loges au spectacle intime de la société. Alors, je ressens l’envie de marcher comme une espèce d’expiation nécessaire, un besoin de poser les sentiments, une sorte de vacance dans le sacerdoce. Je sais que la montagne possède cette vertu. Je sais que dans leur rudesse, leur simplicité, les cimes offrent cette hauteur nécessaire à l’introspection, au recul. Je ne sais pas trop dire pourquoi, mais je me sens bien là-haut. Tous les montagnards ont fait cette expérience. La conquête de l’inutile. Je me suis dit que vivre un temps dans l’effort l’expérience poétique du monde sauvage sera pour moi une forme d’esthétisme qui comblera toutes mes attentes. La nature me rend vivant. À son contact, on n’existe que par son propre corps, sa seule existence physique, le reste ne vaut plus grand-chose. Rien ne peut entraver ce rapport intime. Que signifie le poids d’un crédit immobilier face au regard de l’aigle ? Les travaux de réparation de la voiture devant la stature altière du bouquetin ? Les contraintes de l’organisation d’un planning au contact d’un parterre d’edelweiss ? La pression d’un service d’urgence à côté de la plénitude ressentie sur les sommets ? Rien. C’est cela que je vais chercher là-haut. »
La Grande Traversée des Alpes
(p. 22-23, Transboréal, ? Voyage en poche », 2020, rééd. 2021)