Gorges de l’Ardèche – Massif central (France)
Année 2003
© Olivier Lelièvre
Java et Madura :
« La proue du jangollan fend paresseusement les vagues. Le mât gémit au gré de la brise de l’aube qui gonfle l’unique voile du navire. À l’arrière, le capitaine fume sereinement, le regard perdu vers la ligne d’horizon. Au loin, je devine de gros nuages noirs qui annoncent une terre, ou plutôt une île, Java. Sur le toit de rotin tressé qui protège la cargaison de sel, deux moussaillons jouent aux cartes en jetant de temps à autre un regard furtif à la mer si calme qu’elle s’étend comme un drap de soie.
Le temps s’écoule, sans guère échanger de paroles. Désormais nous apercevons le rempart des montagnes qui constituent le massif du Tengger. Les derniers hindouistes de Java racontent que c’est là, au sommet d’un volcan, que vivent les dieux. La mer a maintenant grossi, et le ciel d’un gris métallique laisse encore filtrer quelques rayons de soleil. La luminosité exceptionnelle est annonciatrice d’un de ces formidables orages que seuls les tropiques connaissent. De temps à autre me parvient l’odeur âpre et doucereuse de la kretek du capitaine, une cigarette aux clous de girofle. Lorsque je m’imagine en Indonésie, c’est souvent ainsi que je me vois : sur le pont d’un bateau musardant entre les îles, écrasé de soleil, avec en fond ces effluves entêtants d’épice.
Pendant vingt-cinq ans, j’ai sillonné les mers de cet archipel envoûtant à plus d’un égard, et je ne m’en lasse toujours pas. Plus encore : si je n’y vais pas pendant plusieurs mois, ce pays de terre et d’eau et ses habitants me manquent. Quelle magie a pu opérer pour que je sois ainsi sous le charme ? La réponse n’a guère d’importance. L’Indonésie m’a envoûté? et tout est bien ainsi. »
Indonésie, Visions d’un voyageur entre mer et volcans
(p. 6, Transboréal, ? Visions », 2008)