À bord d’un De Havilland Vampire, sur l’aérodrome de Melun-Villaroche – Seine-et-Marne (France)
Année 2002
© Agnès Dumesny
Manche à balai :
« Je viens de franchir le cap des 6 600 heures de vol en tant que pilote d’avion. Il me suffit d’ouvrir le dernier des carnets sur lesquels je garde trace d’une telle activité depuis plus de soixante ans pour prendre conscience de cette comptabilité personnelle.
Cela paraît beaucoup mais, converti en journées de vingt-quatre heures, le total atteint tout juste 275. Oui, seulement 275 jours ! Chiffre presque dérisoire, sur une aussi longue période. Car si je fais mienne la croyance qui a cours outre-Atlantique, selon laquelle saint Pierre accorde aux pilotes d’avion un supplément de vie sur terre égal au temps qu’ils ont passé en vol, mon bonus est des plus modeste ! Surtout lorsqu’on le compare au score dont se prévalent beaucoup de pilotes professionnels qui sillonnent le ciel depuis plusieurs décennies et totalisent 30, voire 40 000 heures de vol.
Seule particularité que je revendique par rapport à eux, et qui pourrait me valoir l’attribution d’un coefficient multiplicateur : mes heures sont des heures de pilotage effectif, au sens que je donne à cette activité. Des heures effectuées aux commandes, jamais avec l’assistance du pilote automatique dont sont équipés les avions de ligne et la plupart des appareils de combat modernes un peu sophistiqués. Voire de plus en plus d’avions légers, d’avions de loisir. J’ai pratiqué les avions d’armes en professionnel durant quinze ans. En pseudo-professionnel, je veux dire comme pilote militaire réserviste, durant six ans de plus. Sans pilote automatique. Ensuite, je me suis contenté de l’aviation légère, en pur amateur, notamment en tant qu’instructeur bénévole en aéro-club. Ou comme pilote occasionnel d’avions de taille et de masse variées, de l’Airbus A300 au Mirage 2000, pour en écrire ensuite le compte-rendu de vol dans des revues aéronautiques. Mais avec toujours une main sur le manche à balai. Cette commande unique, entre les genoux du pilote, permet d’incliner l’avion, et en même temps de piquer ou de cabrer. Elle a été inventée par Esnault-Pelterie, un Français. La main du pilote ne s’en éloigne jamais beaucoup ni longtemps. Idem pour sa seconde main, posée sur la manette des gaz, qui commande le régime de rotation du ou des moteurs. Cette double obligation crée un sentiment de complicité vis-à-vis de la machine, dont les vibrations et la vie se transmettent au corps par ce contact direct. Saint Pierre acceptera-t-il de prendre en considération une telle singularité ? »
La Promesse de l’envol, Petites figures sur les machines volantes et la fascination du ciel
(p. 11-13, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2015)