Plateau du Cézallier – Auvergne (France)
Année 2007
© David Genestal
Un regard de béatitude :
« [L]es moments de bonheur intense et de déprime profonde se succèdent de façon imprévisible mais aident à la construction de soi. Un jour, sur la Carretera Austral chilienne, une journée pluvieuse me fit penser à des amis perdus ou éloignés. Le ciel nébuleux drapait les glaciers de sa mélancolie. La brume obscurcissait mes pensées au point que je voulus cesser cette vie d’errance. À quoi bon pédaler ? Pourquoi être seul ? Pourquoi laisser derrière moi ceux que j’aimais ? Quel était le sens de ces voyages ineptes ? Ces questions que j’entendais habituellement, je me les posais à mon tour sans trouver de réponse. Je m’oubliais dans des pensées ténébreuses lorsque je vis une maisonnette au milieu d’une clairière. De la fumée sortait de la cheminée et se mêlait à la brume, des chevaux paissaient l’herbe humide. Le silence enveloppait ce tableau, comme figé. Je m’installai un peu à l’écart avec l’accord des propriétaires. Le lendemain matin, je vins les saluer dans leur modeste habitation en bois. Une agréable odeur de café et de pain chaud m’accueillit. Ricardo, le père de famille, était attablé devant son petit-déjeuner. Sa femme était aux fourneaux et préparait le premier maté de la journée. Leur fille de 6 ans, Lisette, chevauchait un vélo vert avec énergie. Après un instant, elle s’approcha de sa maman et lui susurra à l’oreille qu’elle n’avait jamais vu d’yeux aussi beaux que les miens. Je me souvins alors des regards de cyclonomades croisés quelques années auparavant en Nouvelle-Zélande. Leur beauté m’avait surpris. La clarté transparente de leur rétine permettait de lire jusqu’au plus profond de leur âme. Alors je m’étais mis en tête d’avoir dans les yeux la même béatitude que celle que j’avais décelée dans les leurs. Après une journée morose, la petite Chilienne avait su lire dans mes prunelles le bonheur que j’avais vécu sur la route, félicité acquise au fil des rencontres mais aussi au cours des longs moments passés seul. Voyager en solitaire permet au cyclonomade de bénéficier de ce précieux mélange de découverte de soi et des autres, avec sincérité et franchise. »
[TRAPPVÉL]
(p. 21-22, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2010, 7e éd. 2023)