Monts Küngheï (Kirghizistan)
Année 2005
© René Cagnat
L’Issyk-Koul, la perle du Kirghizistan :
« J’ai rencontré dans l’Issyk-Koul un personnage extraordinaire, digne d’un roman de Soljenitsyne : Baba Macha. Née dans l’Altaï russe, elle est déportée à 7 ans en Sibérie avec ses parents, dont le seul crime est d’être koulak, c’est-à-dire de posséder une ferme privée prospère. Sur l’intervention de Nadejda Kroupskaya, la veuve de Lénine, qui les rencontre lors d’une inspection au bagne, ils sont libérés, mais relégués dans la région du lac Baïkal. Macha, petite bonne femme sans instruction, est cependant d’une intelligence vive. Consciente des vices du système, elle pose sur lui le regard intense de ses yeux bleu acier, et ne cesse de le contester. Au fil d’une longue errance en Sibérie, elle se marie deux fois et met au monde cinq enfants. Toujours énergique et gaie, elle les élève de son mieux, trouvant dans sa descendance comme un bouclier face aux communistes, “la bête rouge” de toute son existence. Elle prend racine dans la plaine du Tchou, son dernier lieu de relégation, ce qui lui permet d’alterner les séjours, au fil des persécutions, entre le Kazakhstan et le Kirghizistan. Ses enfants se souviennent qu’elle traversait le fleuve à gué, même en hiver, pour quérir leur subsistance sur l’autre rive. L’Issyk-Koul finalement l’accueille, elle et sa famille, loin du monde et du Parti. J’ai connu Baba Macha au soir de sa vie. Adorée de ses enfants et petits-enfants, sereine, entreprenante, elle se disait prête, à 85 ans, à décrocher son bâton d’éternelle fugitive et à retourner dans son Altaï natal. Merveilleuse Baba Macha, âme russe inébranlable, aussi simple que profonde, restée debout quand tant d’autres se sont couchés, toujours lucide quand tant d’autres n’ont rien compris ! »
En pays kirghize, Visions d’un familier des monts Célestes
(p. 52, Transboréal, ? Visions », 2006)