La vocation du large
Auteur avec Jérôme Poncet du célèbre périple de Damien qui, en cinq années, les mena du plus au nord, au Spitzberg, au plus au sud, en péninsule Antarctique, via l’Amazonie et la Polynésie, Gérard Janichon confie quel sentiment de liberté et d’universalité la mer lui a apporté.
Oui, j’ai voulu être gitan. Gitan de l’Océan. Je revendiquais cet état comme un statut, je voulais qu’il soit tout à la fois l’affirmation de mon existence et celle de mon identité. Je voulais voyager, courir et découvrir le monde, je voulais que ce soit à bord d’un bateau comme un gitan avec sa roulotte, devenir peu à peu universel à force d’itinéraires, n’être d’aucun pays pour appartenir à tous, ne jamais franchir de frontière pour toujours avancer un peu plus loin vers l’infini, me sentir indéfiniment en route, jamais touriste et toujours voyageur, jamais étranger et toujours nomade.
Le marin voyageur est le dernier nomade à quêter l’horizon. Il est référence, amer remarquable pour guider certaines navigations humaines. À son insu, il traverse parfois bien davantage que les océans, sans heurt il franchit les frontières invisibles des grandes vérités qui nous obsèdent et dont la révélation grave l’empreinte dans son regard. À lui, ensuite, plus ou moins adroitement, quelquefois naïvement, de tenter de les partager. Aux autres de se plonger dans ce regard pour l’apprivoiser et comprendre.
Face aux mystères des étoiles et de la mer, confronté à leurs battements si immuables qu’ils apparaissent éternité et immortalité, le navigateur devient naturellement humble, il accomplit modestement son voyage, s’interroge sur sa propre identité et revient partager sa quête avec ses frères de terre. Cette navigation du retour est probablement la plus délicate. Plus on voyage, plus on découvre ce que l’on soupçonnait au départ : la leçon du sillage des milliers de milles affirme simplement que la quête interminable sur l’océan n’est pas autre chose que le jeu de la vie. Mais comme cette quête est également le seul moyen de s’accomplir pour celui qui a osé l’entreprendre, on repart toujours.
La sagesse chinoise enseigne que l’expérience est une lanterne qu’on s’accroche dans le dos et qu’elle n’éclaire que le chemin parcouru. Moi, je crois avoir expérimenté que chaque départ est une nouvelle espérance de vie, une lanterne audacieuse et excitante qui brave le futur et nargue l’incertitude. Elle éclaire devant soi pour indiquer la route de l’inconnu. Le retour n’est donc qu’une pause pour en régler la flamme.
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