Refaire sa vie en Kirghizie
Après une carrière militaire comme attaché de défense, René Cagnat, qui fut en poste en Asie centrale, a devancé en 1999 la retraite pour s’établir à Bichkek, au Kirghizistan : une véritable renaissance.
Pourquoi ai-je choisi le Kirghizistan alors que je suis né à Madagascar ? Pourquoi m’être installé dans cette région alors que rien ne me prédisposait à y vivre ? Pour sa beauté plastique et esthétique, la fière allure de ses montagnes qui me rappelaient le Caucase ou les Alpes, la douceur du climat, la gentillesse et la bienveillance de ses habitants, leur accueil empreint de courtoisie, leur hospitalité désintéressée, la grâce et le charme des femmes kirghizes.
Il fallait à l’époque que je quitte l’Europe car je ne supportais plus le monde dans lequel je vivais. Je ne pouvais plus être heureux dans une société que j’estimais sclérosée et malade. Cependant, en partant, j’ai refusé de faire de cet « exil » une fuite stérile et égoïste. J’ai pris mes distances pour mieux juger notre société, mais j’ai le sentiment d’être resté très proche, intellectuellement, de l’Europe.
Quitter la France a exigé des sacrifices douloureux mais nécessaires. J’ai renoncé à l’amour de mes proches, aux possibilités liées à ma carrière militaire, à des avantages financiers. Aujourd’hui, pourtant, il est exclu que je revienne.
J’ai le sentiment de m’accomplir au Kirghizistan. Je réside à Bichkek, une véritable oasis au pied des montagnes, et je vis toutes les joies dont un être humain puisse rêver. Des joies sentimentales – j’ai fondé une famille qui me comble chaque jour un peu plus –, et ethnographiques – je découvre une société d’une richesse humaine exceptionnelle, que j’apprends à comprendre pleinement au fil des ans. Je suis d’ailleurs intimement persuadé que l’on ne peut appréhender un peuple et sa culture autrement qu’en vivant à ses côtés le cycle des différentes saisons. L’écrivain-voyageur qui ne fait que traverser une contrée n’en retient que ce qu’il a projeté sur elle.
Je vis une aventure humaine passionnante et de chaque instant. Toutes mes rencontres m’ont permis de réfléchir sur le sens de l’abnégation et du sacrifice ancré dans la population kirghize, et inexistant en France. La conception du temps est également très différente en Asie centrale. Les gens prennent le temps de vous écouter, de vous aider, de vous connaître, sans arrière-pensée. Si je pars chercher de l’eau en montagne et que je croise un berger, je peux être certain qu’il m’invitera chez lui avant de me proposer de l’accompagner à la cueillette aux champignons ou à la chasse au loup.
J’éprouve également une grande satisfaction intellectuelle à vivre à Bichkek. Cette ville merveilleuse me sert de point de départ à d’ambitieuses expéditions dans le désert ou les montagnes de la Haute-Asie. Un genre d’aventure à part, qui n’existe plus chez nous où tout itinéraire est désormais balisé, ne laissant aucune place à l’imprévu, ni à l’inconnu.
J’ai eu le sentiment de commencer à vivre en découvrant l’Asie centrale, en 1971. Je ne me souviens de rien mais j’ai l’impression d’avoir vécu intensément mes quatre premières années en Afrique. Puis entre l’Afrique et le choc de l’Asie centrale, rien ! une vie en pointillé, sans intérêt ! En réalité, j’étais dans l’attente de quelque chose, du Kirghizistan.
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