À traîneau à chiens en Laponie finlandaise



La magie du Grand Nord
L’hiver, les terres pauvres et embourbées du Grand Nord se figent dans la glace pour six ou sept mois. Finis les marécages podzoliques et les nuées d’insectes ; il est temps de sortir les traîneaux pour en farter les patins. Les chiens hurlent déjà d’excitation. La Laponie, ensevelie sous une lourde couche de neige, s’ouvre enfin à celui qui désire l’explorer dans ses moindres courbes de terrain. L’automne, illuminé par les aurores boréales, et le début du printemps, au retour du soleil, sont les meilleures saisons pour se lancer dans le Grand Blanc, quoique la nuit polaire ne manque pas de charme pour celui qui ne l’a jamais connue.
Conduire un attelage n’est pas vraiment difficile. C’est un peu comme faire du ski : tout est dans l’équilibre, la souplesse et l’anticipation. Bien sûr, il faut également pouvoir communiquer avec les chiens, et notamment avec le ou les leaders pour leur indiquer la direction à prendre : Oïkéa ! (« À droite ! »), Vasen ! (« À gauche ! ») et Alas ! (« Couché ! ») sont les ordres finlandais qui reviennent le plus souvent. Hormis ces trois commandements de base, il suffit de connaître un ou deux jurons ; Perkele ! compte parmi les favoris. Et, surtout, il faut connaître le nom de chacun des chiens. Car vous aurez beau jurer, les chiens ne vous écouteront pas si vous ne les connaissez pas individuellement. Savoir leur nom est d’ailleurs loin de suffire. Partiriez-vous en expédition à ski en plein hiver boréal avec une personne dont vous ne connaîtriez que le prénom ? Son sexe, son âge, sa personnalité, son endurance physique et mentale sont autant d’éléments qui importent pour la réussite du voyage. Il en va de même avec les chiens. Apprendre à déchiffrer leur état de fatigue, par exemple, est vital, car il arrive malheureusement qu’ils se dévouent tant à courir qu’ils se tuent littéralement à la tâche. Si vous attendez de constater des vomissements consécutifs à un état d’épuisement pour faire halte, il est peut-être déjà trop tard.
Même si vous ne voulez pas pousser vos limites et celles de vos chiens à l’extrême, il est impératif de placer correctement chaque chien au sein de l’attelage. Dans la forêt boréale de Laponie, ce dernier est constitué d’une suite de binômes à la queue leu leu. Il n’y a que sur la toundra arctique et sur la banquise, où aucun arbre n’entrave la progression et où il vaut mieux répartir au maximum les poids sur la glace, que l’on attelle les chiens en éventail ; mais, même là, il y a un ordre à respecter puisque les lignes de trait sont toutes de longueur différente. Placez votre plus gros mâle en tête, suivi de jeunes chiens et de plusieurs femelles à l’arrière, et vous êtes certain de courir à la catastrophe !
Le ou les deux leaders ont pour mission de se concentrer sur la piste, de garder en permanence la ligne de trait principale tendue et d’obéir aux ordres du musher, ce qui demande assurance, savoir-faire et une bonne dose de relationnel, tant avec les hommes qu’avec les chiens. Les femelles comme les mâles peuvent être leader, l’intelligence n’étant pas une question de sexe. Certains préfèrent d’ailleurs mettre des femelles en tête de leur attelage car, plus légères, elles sont généralement plus rapides que les mâles ; or la puissance n’est pas nécessaire pour le chien de tête. Ceux qui sont attelés à l’arrière doivent tirer le plus et penser le moins. C’est d’ailleurs souvent vers l’arrière que les chiens commencent leur carrière.
Il faut également tenir compte de la hiérarchie. Placez un jeune leader en tête et un chien de tête expérimenté derrière lui… et c’est la bagarre. Ou alors le jeune chien prometteur sera le seul à s’élancer lorsque l’ordre du départ sera donné, ce qui est embarrassant. Il y a de nombreuses subtilités à prendre en compte pour reconnaître le rang d’un chien. Une femelle qui a mis bas, par exemple, grimpe d’un échelon dans l’échelle sociale ; c’est pourquoi il ne faut jamais atteler deux mères en tandem. Les leaders du traîneau de tête valent mieux que les leaders du deuxième traîneau, et ainsi de suite. Un chien dont la niche est plus proche de la pièce où dort son maître est en théorie mieux classé qu’un autre dont la niche se trouve plus éloignée. Et puis, il y a ceux qui font partie de l’équipe de course et ceux qui n’ont jamais concouru. L’âge, l’ordre de naissance, la force physique, l’expérience, le caractère, les aptitudes relationnelles avec les autres chiens et les hommes sont autant de facteurs qui influencent la hiérarchie.
L’avantage du voyage en forêt est qu’on y trouve des arbres ; ce qui se révèle pratique lorsqu’il faut attacher le traîneau (le demi-nœud de lacet est le plus couramment utilisé) car les chiens, dès la seconde où ils sont attelés, pèsent de tout leur poids sur les traits et ils n’hésiteront pas à jouer un sale tour au musher en partant sans lui. Si cela vous arrive un jour, il est inutile de vous élancer à leur poursuite en courant dans la neige. Essayez plutôt de dénicher une motoneige. Par ailleurs, certains chiens font preuve d’impatience juste avant le départ et rongent leur frein comme ils le peuvent. Ils font des bonds en avant pour tenter d’arracher le traîneau à l’arbre, provoquent une bagarre, mâchent leur harnais ou – pire – la ligne de trait.
La nourriture, à présent. À – 20 °C, une gamelle d’eau gèle en quelques minutes. De plus, un apport en protéines est indispensable avant et après l’effort. Donc, hormis le repas quotidien en fin de journée, il faut donner de la soupe (tiède) aux chiens : deux litres de jus deux heures avant le départ du matin et deux litres aussitôt la course achevée. En Finlande, on peut acheter la nourriture de son attelage dans une des fermes à visons qui approvisionnent les fermes à chiens : c’est ce qu’il y a de mieux et de moins de cher. Elle est constituée de viande, de poisson, de graisse, d’eau et de vitamines, le tout étant broyé, homogénéisé et congelé sous forme de tablettes d’une dizaine de kilogrammes. Sinon, des croquettes de qualité font l’affaire.
Les vêtements, enfin. À traîneau, le vent relatif et les basses températures sont propices à glacer les mains (pour se réchauffer les pieds, il suffit de sauter des patins pour courir un peu). La superposition de sous-gants en polyester (première couche), de sous-moufles en laine polaire et de moufles en peau (couche extérieure) est imbattable. Il ne manque plus que deux ou trois peaux de rennes pour recouvrir le matériel, quelques longueurs de corde pour arrimer solidement le tout au traîneau, et vous êtes fin prêt pour entrer dans un univers où la neige, le froid et les hurlements des chiens seront permanents.
Observer la respiration bruyante des chiens qui se fige sur leur épaisse fourrure jusqu’à les couvrir d’une robe de givre ; glisser silencieusement à travers la forêt pour découvrir de nouvelles collines, d’autres vallées et mémoriser chaque cours d’eau, chaque clairière, chaque arbre afin de retrouver son chemin lorsque la neige aura effacé les traces ; contempler un nuage de poudreuse qui enfume la piste que vous inventez et se faire aveugler par les rayons obliques du soleil qui rebondissent sur les nappes de neige vierge que l’hiver a tendues ; cligner plusieurs fois des yeux avant de retrouver le contrôle de ses paupières dont les cils ont commencé à geler : voilà ce qui fait tout le charme d’une randonnée avec des chiens de traîneau.

Suggestions de visite :
• Rovaniemi : la localité sur l’Ounasjoki, lieu de séjour légendaire du père Noël, à qui le monde entier écrit là.
• Napapijri : le « cercle du nombril » ou cercle polaire qui, au nord, marque la limite du jour permanent au solstice d’été et de la nuit permanente au solstice d’hiver.
• Inari : son immense lac et son musée Siida qui retrace la vie du peuple sàmi.
• Ivalo : village situé au bord de l’Ivalojoki, jadis fréquenté par les chercheurs d’or.
• Tunturiit : la région lapone des trois frontières (suédoise, norvégienne et finlandaise), qui a donné son nom au terme quasi universel de « toundra ».
• Et les aurores boréales, surtout durant les nuits froides de décembre à février.

Par Kim Hafez
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