Carine Rochez

Les joutes oratoires :

« Monastère de Sera. Dans un brouhaha indescriptible, une centaine de robes rouges s’agitent et s’exclament. Par groupe de deux ou trois, des novices s’exercent au débat philosophique. À partir d’une thématique donnée par les maîtres, ils s’interrogent, se répondent et débattent, testant ainsi leur connaissance des textes. Nous sommes fascinés par leur gestuelle, semblable à une danse initiatique. Un vieux Tibétain observe la scène d’un œil averti et nous l’explique : celui qui interroge est debout et ponctue chacune de ses questions d’un claquement de mains. Puis il remonte son chapelet le long de son bras nu pour que vienne à lui le savoir des anciens ; le second, assis, lui répond aussi sec, engageant une joute verbale animée où chaque protagoniste essaie de dominer l’autre. Si l’étudiant assis ne sait plus quoi répondre, il se touche la tête de la main, avouant ainsi qu’il doit apprendre davantage. L’interrogateur claque alors le dessus de sa main contre la paume de l’autre, pour bien signifier qu’il a gagné, et enchaîne avec une autre question. Les maîtres circulent entre les groupes afin de contrôler les échanges. Les visages des étudiants s’animent : rire, concentration, agacement, excitation, les émotions se mêlent aux exercices de rhétorique et se lisent sur les visages.
Le vieil homme nous confie qu’il se souvient du jeune Tenzin Gyatso, quatorzième et actuel dalaï-lama, qui excellait dans cette discipline. »