Collection « Sillages »

  • Dans les pas de l?Ours
  • Au gr? du Yukon
  • Damien autour du monde
  • Maelstr
  • Unghalak
  • Au vent des Kerguelen
  • Grand Hiver (Le)
  • Voie des glaces (La)
  • Atalaya
  • Par les sentiers de la soie
  • P?lerin d?Orient
  • Volta (La)
  • Nomade du Grand Nord
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Seule sur le Transsib?rien
  • Kamtchatka
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • P?lerin d?Occident
  • Au c?ur de l?Inde
  • Cavalier des steppes
  • Sous l?aile du Grand Corbeau
  • Sib?riennes
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Coureur des bois
  • Errance am?rindienne
  • ? l?auberge de l?Orient
  • Sans escale
  • Esp?ritu Pampa
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Rivages de l?Est
  • Solitudes australes
  • Sur la route again
  • Road Angels
  • ? l??coute de l?Inde
  • Siberia
  • Brasil
  • Route du th? (La)
  • Diagonale eurasienne
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborig?nes
  • Odyss?e am?rindienne (L?)
  • ?me du Gange (L?)
  • L?ours est mon ma?tre
  • Arctic Dream
  • Tu seras un homme
  • Ivre de steppes
  • P?lerin de Shikoku (Le)
  • Carpates
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • ? l?ombre de l?Ararat
  • Cavali?res
  • Habiter l?Antarctique
  • ?sland
  • La 2CV vagabonde
  • Namaste
Couverture
Gilgit, le jeu des rois :

« ? la fin des ann?es?1950, lorsque j?y vins pour la premi?re fois, Gilgit ?tait un gros bourg somnolent aux rues empierr?es travers?es par quelques rares jeeps. Le bazar ?tait ? l?image de ce monde quasi autarcique, repli? sur lui-m?me et coup? du reste du pays huit mois par an, lorsque les neiges fermaient le col de Babussar, seule porte d?acc?s ? ces hautes vall?es transhimalayennes.
Trente ans plus tard et vingt ans ? peine apr?s que le dernier tron?on de la Karakoram Highway, qui relie le Pakistan au Xinjiang, a ?t? termin?, Gilgit n?est plus reconnaissable. Les magasins proposent toujours des fruits secs, des tissus de laine et du sel gemme, mais ils sont d?sormais ?clair?s par des ampoules au lieu des lampes ? k?ros?ne fumeuses. Les rues larges et macadamis?es sont sillonn?es par un flot constant de camionnettes Suzuki, de luxueux 4x4 et de voitures priv?es. Comme ? la grande ?poque de la route de la soie, les produits chinois sont aujourd?hui partout en ?vidence dans le bazar. On y trouve des articles de quincaillerie, des thermos, des lampes torches, des outils, des cr?mes mais surtout le th?, la soie et la porcelaine qui, depuis deux mille ans, transitent par cette r?gion.
Dans ce monde en plein changement, Sultan Feroze, comme le rajah de Punial, continue ? former une fragile passerelle avec le pass?. Sultan Feroze, ancien subedar?major (sous-officier) et capitaine de polo des Gilgit?Scouts pendant de longues ann?es, est une personnalit? connue non seulement de tous les amateurs de polo de la r?gion, mais ?galement r?put? pour ses talents de po?te en langue urdu et shina, le dialecte de Gilgit. Avant l?ouverture de chaque tournoi, on peut le voir arpenter les tribunes officielles d?un pas digne, le torse bard? de d?corations. Ce fr?le octog?naire, v?tu de ses jodhpurs impeccablement amidonn?s et de son ins?parable casque colonial blanc, semble appartenir ? un autre ?ge.
Il vit dans un vieux bungalow situ? en bordure du Chinar Bagh, parc ombrag? de platanes s?culaires surplombant la rivi?re de Gilgit. Une source d?eau fra?che gargouille sous la v?randa et s??coule dans une rigole qui serpente ? travers un verger touffu de pommiers et d?abricotiers. L?air est d?une puret? cristalline en ce d?but d?automne, parfum? des senteurs de la terre et des feuilles jaunies qui commencent ? s?amonceler au pied des arbres.
Mon h?te, v?tu de l?ample shalwar?kurta traditionnel, me sert c?r?monieusement du th? vert sucr? dans une minuscule tasse chinoise sans anse. Nous le sirotons tout en discourant gravement du pass? et de l?avenir du polo.
?? l??poque o? j??tais le secr?taire du club de polo des Gilgit?Scouts, les terrains ?taient aussi bien entretenus que mon jardin, me dit-il en d?signant les parterres de fleurs et les splendides rosiers qui nous entourent. Gilgit en comptait alors quatre?; il n?en poss?de plus que deux. Le polo n?a pu survivre dans le pass?, ? l??poque des mir, tel le roi de Hunza, et des rajahs comme sous les Anglais, que gr?ce au soutien actif des dirigeants. Non seulement les Britanniques encourageaient ce sport, mais de plus ils participaient r?guli?rement aux tournois qu?ils organisaient.?
Son long visage grave s?illumine bri?vement d?un sourire?: ?Je me souviens d?un m?decin ?cossais. Au cours d?une partie ?prement disput?e, il assomma avec son maillet l?agent politique, son sup?rieur hi?rarchique, qui jouait dans le camp adverse.?
Sultan Feroze ne dit pas ce qu?il advint de ce m?decin ayant foul? aux pieds avec une telle d?sinvolture les r?gles de fair-play introduites par les Britanniques? et le prestige de l?Empire.
?Il y avait alors un int?r?t r?el pour ce sport. Chaque bourgade, chaque vall?e avait son ?quipe soutenue financi?rement par les rajahs et les riches propri?taires terriens. Les tournois annuels suscitaient un immense int?r?t et ?taient disput?s avec acharnement. Il n??tait pas rare d?ailleurs que la finale entre Punial et Nagar d?g?n?re ? la fin du match en pugilat ou en v?ritable bataille rang?e entre supporters des deux ?quipes.?
Un serviteur vient annoncer l?arriv?e de visiteurs venus de Nagar. Alors que je me l?ve pour prendre cong?, Sultan Feroze me conseille d?aller voir le match d?entra?nement qui doit avoir lieu en d?but d?apr?s-midi dans le vieux stade de polo.

Le stade est situ? au pied des montagnes qui surplombent la ville. Tout autour se profilent des pics d?chiquet?s et des cr?tes couvertes par endroits de confettis de glace. Avant le d?but de cette rencontre qui opposera les deux ?quipes de la police, je me rends aux ?curies toutes proches. Une dizaine de chevaux sont entrav?s dans un enclos ombrag? de m?riers et de noyers. Des gar?ons d??curie les ?trillent ?nergiquement ou peignent leur queue qu?ils tressent ensuite tandis que des joueurs inspectent leurs montures. Je demande ? l?un d?entre eux, en train de caresser les flancs d?un superbe cheval noir qui semble nerveux, s?il vient du Punjab ou du Badakshan. ?Punjabi?, me r?pond-il laconiquement. Abdur Rahman, un autre cavalier ? qui j?avais ?t? pr?sent? dans le bazar, est plus loquace?: ?Les meilleures ?quipes utilisent soit des punjabi ou des croisements d??talons punjabi avec des juments waziri ou kohistani. Les meilleurs chevaux de polo ?taient les badakshani capables de galoper pendant des heures, mais depuis que l?Afghanistan est ferm?, on n?en trouve plus, m?me ? prix d?or.?
Les gar?ons d??curie rassemblent les maillets et m?nent les montures au terrain proche car le match va bient?t commencer. Le terrain fait plus de 200?m?tres de long sur 30 ? 40 de large. Il est flanqu? de part et d?autre de murs de pierre de 1?m?tre ? 1?m?tre?50 de haut qui permettent ? la balle de rebondir. Le terrain semble en bien triste ?tat. Le sol in?gal est couvert d?une ?paisse couche de poussi?re.
Les douze joueurs qui vont s?affronter appartiennent aux ?quipes?A et B de la police. Chaque grand club poss?de ainsi deux formations qui incluent les meilleurs joueurs et les espoirs. Ils sont tous coiff?s de bombes noires, portent des genouill?res et des culottes de cheval en velours enfil?es dans des bottes de cuir souple.
La balle est jet?e au milieu du terrain o? les cavaliers sont rassembl?s?: le jeu commence. Il est souvent difficile de suivre les ?volutions de la balle lorsqu?elle dispara?t au centre d?une for?t de maillets entrem?l?s ou m?me de discerner les joueurs envelopp?s dans des nuages de poussi?re, tentant de la d?gager du sabot des chevaux. Les m?l?es sont suivies de d?gagements et de furieux galops.
Dans ce polo libre qui n?ob?it qu?? un minimum de r?gles, tous les coups sont permis ? ou presque. Un Gilgiti, cit? par l??crivain britannique John Staley, mentionne qu?il ?n?existait que deux r?gles avant l?arriv?e des Britanniques?: il ?tait interdit de mordre ses adversaires ou de leur crever les yeux?. Son grand-p?re, ?un tr?s bon joueur?, pouvait d?un seul bras d?sar?onner un cavalier et le projeter ? terre.
Les joueurs sont capables de bloquer les mouvements de leurs adversaires avec leur maillet ou de saisir la balle au vol. Lorsqu?ils s?en emparent ainsi, ils peuvent, s?ils n?en sont pas d?poss?d?s ou ne sont pas d?sar?onn?s, galoper jusqu?au bout du terrain et marquer un but.
Chaque fois qu?une ?quipe marque un point, les joueurs changent de c?t? et repartent aussit?t ? l?attaque. L??quipe ayant marqu? a le privil?ge de lancer la balle en direction des buts adverses. Un cavalier s??lance alors depuis l?extr?mit? du terrain, galope jusqu?au centre et d?gage, frappant la balle avec son maillet. Les meilleurs joueurs peuvent ainsi marquer un but ? plus de 100?m?tres de distance. La rapidit? du jeu cr?e une impression de fluidit? extr?me, de mouvement ininterrompu.
Lorsque des joueurs cassent leur maillet, ils ralentissent un peu l?allure afin de permettre aux bullah?wala, les porteurs de maillet, zigzaguant entre les chevaux, de leur en apporter de nouveaux. Le match ne s?interrompt que lorsqu?un cavalier ou sa monture est bless?. S?il ne peut reprendre la partie, un joueur de l??quipe adverse doit ?tre retir?, car, selon des r?gles immuables, nul participant ne peut ?tre remplac? au cours du match, les ?quipes devant toujours comporter un nombre ?gal de joueurs. L??quipe gagnante est celle qui est la premi?re ? marquer neuf buts?; lors des finales, la dur?e du match est fix?e ? une heure.
? la mi-temps, les gar?ons d??curie s?occupent des chevaux tremp?s de sueur, dont les flancs battent comme des soufflets de forge. Ils les font tourner au pas tandis que les joueurs, assis sur le terrain, se font masser les ?paules, les bras et les cuisses. Je m?approche d?un groupe de responsables en train de discuter avec les cavaliers.
Ali Ahmed Jan, le chef de la police, venu superviser et encourager ses poulains, est un homme d?une quarantaine d?ann?es, corpulent et jovial. Il est apparent? aux familles princi?res de Hunza et Nagar et se passionne pour le polo depuis son enfance. Comme beaucoup de Hunzukut et de Gilgiti, Jan pourrait ais?ment passer pour un Europ?en avec son teint clair et ses yeux verts. Je lui fais part de mon enthousiasme devant la qualit? du polo que je viens d?observer. Il me regarde d?un air amus? et me r?pond apr?s un moment d?h?sitation?: ?Nous avons de bons joueurs, mais la qualit? du polo pratiqu? aujourd?hui est sans comparaison avec le pass?. Les bons cavaliers connaissaient autrefois cinq ou six fa?ons diff?rentes de frapper la balle, les deux coups classiques qu?un enfant peut ma?triser en quelques jours et des coups moins orthodoxes et beaucoup plus difficiles qui consistaient ? frapper la balle derri?re la queue du cheval ou entre les sabots.?
Il me fait une d?monstration avec un maillet?: ?Aujourd?hui, deux joueurs seulement, Ghulam Abbas du NAWO, des Travaux publics, et Hussain Ali de la police connaissent ces bottes secr?tes.?
Il me montre les joueurs en train de se faire masser?: ?Autrefois, il n?y avait pas un moment de repos. Les Britanniques impos?rent une mi-temps de dix minutes et limit?rent la dur?e des matchs ? une heure, afin de m?nager les b?tes et les hommes.? Malgr? ces mesures ?humanistes?, le polo jou? dans le style de Gilgit demeure sans doute l?un des sports les plus ext?nuants et les plus violents du monde avec le bouzkachi afghan. Les jambes et les bras cass?s, les genoux et les tibias bris?s, les fractures du cr?ne sont monnaie courante. Lors du tournoi qui eut lieu en 1978, deux des chevaux de Sherbaz Khan, un joueur c?l?bre, moururent sous lui. Aujourd?hui, le co?t prohibitif des montures contraint leurs propri?taires ? les traiter avec plus de m?nagement.
?Le jeu ?tait autrefois plus rude, poursuit le chef de la police avec une nostalgie non dissimul?e. La moiti? de ma famille est morte sur un terrain de polo.?
Comme je lui demande, atterr? par une telle h?catombe, si ses parents sont morts ? la suite de chutes de cheval ou d?arr?ts cardiaques, il me r?pond d?un ton tranchant, comme si j?avais prof?r? une insulte en traitant ses respectables anc?tres de femmelettes?: ?Non?! Ils moururent comme des soldats sur le champ de bataille, tu?s par leurs adversaires?!?
Selon lui, les joueurs d?antan, soigneusement s?lectionn?s par les rajahs qui ?taient de grands connaisseurs de polo, poss?daient une adresse extraordinaire?: ?Avant le d?but du match, ils mettaient leurs adversaires en garde. Prot?ge ton front, ta bouche ou ton nez car je te frapperai avec la balle. Je te frapperai entre les deux yeux. Et ils les atteignaient exactement ? l?endroit indiqu?, les blessant ou les tuant.?

Une inscription en anglais ? l?entr?e du nouveau stade de polo de Gilgit proclame?: ?Quels que soient les jeux que pratiquent les autres, le jeu des rois demeure le roi des jeux.? Ce sport aristocratique par excellence ne pouvait manquer d??tre affect? par les bouleversements socio-?conomiques provoqu?s par l?Ind?pendance, la construction de la Karakoram Highway qui ouvrit les r?gions septentrionales ? la culture des plaines et par l?abolition des ?tats princiers. Le polo surv?cut gr?ce ? l?intervention d?une poign?e d?amateurs passionn?s?; il dut s?adapter aux temps modernes, se d?mocratiser en quelque sorte.
Sherbaz Khan, haut fonctionnaire et amateur de polo, qu?il a pratiqu? pendant de longues ann?es, d?plore la disparition des anciennes traditions. Mais il est plus r?aliste que le vieux subedar Sultan Feroze qui se r?signe difficilement, ainsi que d?autres puristes, ? la disparition d?un monde familier?: ?La plupart des gens estiment qu?il est stupide de d?penser autant d?argent pour un cheval au lieu d?acheter une maison, un scooter ou une t?l?vision. Notre vieille culture se meurt en raison des changements provoqu?s par la Karakoram Highway.? »
(p.?341-347)

La traque du ??mangeur d?hommes?? (p.?73-75)
Les Bhopa, bardes du Rajasthan (p.?295-300)
Extrait court
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