Collection « Petite philosophie du voyage »
Ma fid?le compagne :
« En r?alit?, le voyageur ? v?lo n?est jamais r?ellement seul. Tout comme pour mes confr?res, ma monture n?est pas banale?: il s?agit d?un ?tre cher, d?un compagnon de route, de voyage et de vie. Elle chante, ?coute, s?exprime. Bref, elle vit?! Le cliquetis de la cha?ne est une ritournelle apaisante, le l?ger crissement des pneus sur le bitume une berceuse l?nifiante. Le v?lo crie parfois, lorsqu?un rayon se brise ou qu?une violente secousse casse un porte-bagages. Alors on le soigne, on le console et le convainc par maints stratag?mes de repartir. Ainsi un lien intime na?t entre le v?lo et l?homme. Nombreux sont ceux qui lui attribuent un nom, preuve de leur attachement. Certains l?appellent Ma?do (?t?te br?l?e? en malgache), d?autres Ganesh, en r?f?rence au ?saint Christophe? indien qui prot?ge des accidents et du mauvais ?il. On le veut brave, vaillant, fort, fid?le ou sensuel, et on le nomme en fonction de ces attentes.
Le mien, alors qu?il n?avait pas encore 1?000?kilom?tres ? son actif, a ?t? baptis? Teresa par un journaliste de Zagreb. Teresa est devenue au fil du temps une merveilleuse compagne. Il m?a d?abord fallu l?apprivoiser. Apprivoiser un v?lo, c?est faire en sorte qu?il vous accepte, ou plus pr?cis?ment que sa selle consente ? ce que vous y posiez vos fesses pour un contact prolong?. Les 5?000?premiers kilom?tres furent un ?chec. ? la fin de notre premier voyage ensemble, en ex-Yougoslavie, je ne savais toujours pas comment m?asseoir tellement cela m??tait douloureux. Je l?ai donc troqu?e contre une selle anglaise, puis contre une selle Proust. Aujourd?hui, la selle mobile, sans bec, ainsi que le guidon d?form?, le klaxon tonitruant et les bagages volumineux donnent ? ma machine un air d?aventuri?re. De ce fait, Teresa a souvent attir? la curiosit? d?hommes, de femmes et d?enfants ? travers le monde. Au fil des kilom?tres et des pays, elle s?est ?mancip?e et a d?velopp? sa propre personnalit?. Il est surprenant de voir comment elle aguiche les passants de ses airs doucereux. Il suffit qu?elle soit chamarr?e d?imposantes sacoches, enduite de terre ou qu?elle se dresse fi?rement sur sa b?quille pour que, tr?s vite, des regards envieux se posent sur elle et des mains la caressent avec ?motion. Car elle est belle, Teresa, et il est normal qu?elle fasse des envieux?! J?ai parfois pass? de longues heures ? la regarder, assis sur un rocher face ? elle en croquant une pomme ou un biscuit. J?ai observ? amoureusement chaque d?tail du cadre, des roues et des sacoches. M?me lourdement charg?, le v?lo est un outil qu?on se pla?t ? admirer autant pour ses formes que pour sa technologie. Sa m?canique, gu?re sophistiqu?e, est pourtant extr?mement performante. ? l?heure des gadgets inutiles et clinquants, il est plaisant de penser qu?une cha?ne et un simple p?dalier permettent de parcourir une distance potentiellement illimit?e, ? la seule force des jambes.
Un cycliste peut facilement avoir les m?mes sensations en serrant son guidon qu?un amateur d?automobile en conduisant son bolide. Une simple pression du pouce ou de l?index sur la manette des vitesses permet ? la cha?ne de naviguer d?un pignon ? l?autre avec souplesse et pr?cision. Qu?il est grisant de sentir son v?lo r?agir ? la puissance que l?on d?ploie un jour de grande forme, lorsque l??nergie transmise par les mollets se traduit par une acc?l?ration?! Et quelle d?licieuse sensation que de faire pencher sa machine lourdement charg?e ? chaque virage d?une descente sinueuse?!
De plus, contrairement ? une voiture dont il faut ouvrir le capot pour en d?couvrir le fonctionnement, le v?lo offre sans aucune pudeur l?ensemble de son corps aux regards, d?voilant ainsi ses secrets ? qui veut les conna?tre. Il est donc l?gitime qu?une complicit? naisse entre l??tre et l?outil, le cavalier et sa monture de fer, et que les inconnus soient d?pit?s de ne pas ?tre dans la confidence. S?duits par ses atours de tourdumondiste, pl?thore sont ceux qui ont voulu partager quelques tours de roue avec ma bicyclette. Peu jaloux et gu?re inquiet, je l?ai laiss?e aux mains d?autres hommes. Surpris par sa corpulence, ces derniers se sont rendu compte ? leurs d?pens qu?elle ne se laissait guider que par un seul?: son compagnon de route et d?infortune, moi-m?me. »
Par le sang donn? (p.?74-76)
Un autre espace-temps (p.?86-89)
Extrait court
« En r?alit?, le voyageur ? v?lo n?est jamais r?ellement seul. Tout comme pour mes confr?res, ma monture n?est pas banale?: il s?agit d?un ?tre cher, d?un compagnon de route, de voyage et de vie. Elle chante, ?coute, s?exprime. Bref, elle vit?! Le cliquetis de la cha?ne est une ritournelle apaisante, le l?ger crissement des pneus sur le bitume une berceuse l?nifiante. Le v?lo crie parfois, lorsqu?un rayon se brise ou qu?une violente secousse casse un porte-bagages. Alors on le soigne, on le console et le convainc par maints stratag?mes de repartir. Ainsi un lien intime na?t entre le v?lo et l?homme. Nombreux sont ceux qui lui attribuent un nom, preuve de leur attachement. Certains l?appellent Ma?do (?t?te br?l?e? en malgache), d?autres Ganesh, en r?f?rence au ?saint Christophe? indien qui prot?ge des accidents et du mauvais ?il. On le veut brave, vaillant, fort, fid?le ou sensuel, et on le nomme en fonction de ces attentes.
Le mien, alors qu?il n?avait pas encore 1?000?kilom?tres ? son actif, a ?t? baptis? Teresa par un journaliste de Zagreb. Teresa est devenue au fil du temps une merveilleuse compagne. Il m?a d?abord fallu l?apprivoiser. Apprivoiser un v?lo, c?est faire en sorte qu?il vous accepte, ou plus pr?cis?ment que sa selle consente ? ce que vous y posiez vos fesses pour un contact prolong?. Les 5?000?premiers kilom?tres furent un ?chec. ? la fin de notre premier voyage ensemble, en ex-Yougoslavie, je ne savais toujours pas comment m?asseoir tellement cela m??tait douloureux. Je l?ai donc troqu?e contre une selle anglaise, puis contre une selle Proust. Aujourd?hui, la selle mobile, sans bec, ainsi que le guidon d?form?, le klaxon tonitruant et les bagages volumineux donnent ? ma machine un air d?aventuri?re. De ce fait, Teresa a souvent attir? la curiosit? d?hommes, de femmes et d?enfants ? travers le monde. Au fil des kilom?tres et des pays, elle s?est ?mancip?e et a d?velopp? sa propre personnalit?. Il est surprenant de voir comment elle aguiche les passants de ses airs doucereux. Il suffit qu?elle soit chamarr?e d?imposantes sacoches, enduite de terre ou qu?elle se dresse fi?rement sur sa b?quille pour que, tr?s vite, des regards envieux se posent sur elle et des mains la caressent avec ?motion. Car elle est belle, Teresa, et il est normal qu?elle fasse des envieux?! J?ai parfois pass? de longues heures ? la regarder, assis sur un rocher face ? elle en croquant une pomme ou un biscuit. J?ai observ? amoureusement chaque d?tail du cadre, des roues et des sacoches. M?me lourdement charg?, le v?lo est un outil qu?on se pla?t ? admirer autant pour ses formes que pour sa technologie. Sa m?canique, gu?re sophistiqu?e, est pourtant extr?mement performante. ? l?heure des gadgets inutiles et clinquants, il est plaisant de penser qu?une cha?ne et un simple p?dalier permettent de parcourir une distance potentiellement illimit?e, ? la seule force des jambes.
Un cycliste peut facilement avoir les m?mes sensations en serrant son guidon qu?un amateur d?automobile en conduisant son bolide. Une simple pression du pouce ou de l?index sur la manette des vitesses permet ? la cha?ne de naviguer d?un pignon ? l?autre avec souplesse et pr?cision. Qu?il est grisant de sentir son v?lo r?agir ? la puissance que l?on d?ploie un jour de grande forme, lorsque l??nergie transmise par les mollets se traduit par une acc?l?ration?! Et quelle d?licieuse sensation que de faire pencher sa machine lourdement charg?e ? chaque virage d?une descente sinueuse?!
De plus, contrairement ? une voiture dont il faut ouvrir le capot pour en d?couvrir le fonctionnement, le v?lo offre sans aucune pudeur l?ensemble de son corps aux regards, d?voilant ainsi ses secrets ? qui veut les conna?tre. Il est donc l?gitime qu?une complicit? naisse entre l??tre et l?outil, le cavalier et sa monture de fer, et que les inconnus soient d?pit?s de ne pas ?tre dans la confidence. S?duits par ses atours de tourdumondiste, pl?thore sont ceux qui ont voulu partager quelques tours de roue avec ma bicyclette. Peu jaloux et gu?re inquiet, je l?ai laiss?e aux mains d?autres hommes. Surpris par sa corpulence, ces derniers se sont rendu compte ? leurs d?pens qu?elle ne se laissait guider que par un seul?: son compagnon de route et d?infortune, moi-m?me. »
(p.?23-26)
Par le sang donn? (p.?74-76)
Un autre espace-temps (p.?86-89)
Extrait court
